Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/201

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
199
les opiniâtres

Deux pirogues d’écorce d’orme débouquaient à leur tour de la rivière. Dans chacune, dix guerriers ramaient. Ils avaient découvert le canot et ils filaient maintenant vers lui. Koïncha s’affolait.

— Ils vont te reprendre, François, ils vont te reprendre.

— Rame sans te fatiguer, Koïncha, toujours dans la même direction.

La tête au-dessus du bordage, il suivait les progrès des poursuivants. Koïncha perdait régulièrement son avance, les cris de guerre aigus parvenaient jusqu’à eux. Quelques ennemis armaient déjà leurs arquebuses. Alors, François dit : —

— Tourne bout pour bout.

Puis il aida Koïncha à caler le mâtereau, à dérouler et à tendre la voile qui se gonfla subitement, plein vent arrière. Léger, battu par un vent violent, le canot d’écorce de bouleau bondit ; il passa non loin de l’ennemi comme un rapide goéland ; il se dirigeait droit vers la sortie du lac, vers l’embouchure du fleuve dont le courant le conduirait jusqu’aux postes.

Le soir, Koïncha aborda dans une îlette dérobée au milieu d’un archipel. Elle traîna François sur le rivage, lui donna à manger. Déjà le jeune homme portait sur sa figure le masque de la gangrène. Une intervention immédiate s’imposait. Koïncha alluma un feu de bois bien sec qui dégagerait peu de fumée et ne durerait pas. Elle étendit François tout auprès, elle découvrit les plaies infectées. Et à quatre pattes elle ressemblait à une chienne qui déchiquète un cadavre, car elle mordait dans les abcès, arrachait avec ses dents les chairs corrompues, nettoyait toutes les blessures avec sa bouche, jusqu’au sang, jusqu’à la chair saine, comme ceux de sa race l’avaient toujours fait. Puis elle appliqua des emplâtres de simples.

Koïncha dormit un peu. Elle partit vers minuit. Désormais, elle voyagea sans répit, pagayant un peu, laissant le courant porter le canot, sommeil-