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les opiniâtres

lant quelques heures au hasard d’une crique, mâchant son blé d’Inde. Des rapides coupaient le cours de l’eau ; elle réveillait François, et soudain bousculée, l’embarcation courait et bondissait. Mais l’obstacle le plus redoutable, elle y avait songé dès le début, elle le sentait approcher. Sur une distance de dix milles, le fleuve s’affaissait d’une cinquantaine de pieds, d’un lit de pierre à l’autre, et formait les rapides de La Chine. Impossible de transporter François sur un aussi long passage ; Koïncha devrait foncer dans les cascades. Autrefois, avec sa tribu, elle avait souvent passé par là ; elle se rappelait vaguement le parcours à suivre.

Vers deux heures du matin, quand elle entendit le mugissement clair qui naissait par-dessus la forêt, elle se signa. À la tête des rapides, elle attacha la pirogue, reposa quelques heures. Et lorsque l’aube eut suffisamment éclairé le paysage, elle cria : « François, François, les rapides de La Chine ». Le jeune homme ouvrit les yeux, il mettait du temps à comprendre comme si les sons lui fussent parvenus d’infiniment loin.

Enfin, François s’agenouilla à l’avant, le buste appuyé sur la pince. Koïncha se cala à l’arrière ; elle enroula son chapelet autour de son poignet droit. Puis d’un geste précis, elle rejeta l’embarcation au large. Elle cria encore :

— Si nous chavirons, te cramponner au canot, ne pas le lâcher.

Elle répétait l’exhortation comme pour l’enfoncer à coups de marteau jusqu’à la mémoire lointaine.

De seconde en seconde, le courant accélérait son élan. Le mugissement lointain devint clameur assourdissante. Des moutons blancs accoururent. Entre ses basses rives boisées, l’immense fleuve s’affaissa par gradins insensibles, croula d’un palier à l’autre, reflua sur des obstacles de fond, disparut à la vue.