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— II —

Mais le fleuve est une invite : dans tout l’est de l’Amérique, il constitue la seule trouée ouverte dans l’impassable forêt, jusqu’au centre du continent. Aspiré lui aussi par cette force, Pierre de Rencontre abandonna Québec. Il remonta le Saint-Laurent pendant trois jours. Descendant du nord, un puissant affluent tenait en son embouchure, comme un serpent dans sa gueule, quelques îlots sablonneux et boisés. De loin, la pinière semblait croître dans l’eau même ; et, l’entre-bâillant à peine, un carré de pieux ceinturait sur un platon quatre ou cinq édifices dont les toits se soulevaient au-dessus des palis.

Les Trois-Rivières. Pierre y descendit. Au bout d’une heure, il connaissait toute la population : quelques Jésuites, quelques interprètes et quelques commis conduisant le commerce des pelleteries, un peloton de soldats. Une chapelle-presbytère, un magasin, diverses constructions basses se dispersaient dans l’enceinte.

Assis sur l’affût d’un pierrier posé sur un terre-plein, Pierre regardait, le même après-midi, le fleuve couler. À quatre cents milles de la mer, celui-ci se montrait encore plus large que la plupart des autres à leur embouchure. Dans la journée calme, soleilleuse, il surgissait de l’inconnu, s’enfonçait dans l’inconnu, de son ample glissement silencieux au creux de l’immobile forêt.

Basané, de stature moyenne, Jacques Hertel se tenait debout à côté de Pierre. Impassible, il aspirait d’épaisses bouffées de fumée ; puis, le calumet à la main, il épiait l’excitation et le déconcertement de son compagnon soudainement échoué dans le vide de ce pays.