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les opiniâtres

nication avec la rive où dans le fourré se bombait la coque du canot à l’envers ; nettoyer un emplacement afin d’y asseoir la cabane et d’y dessiner un courtil ; disposer des chablis ; raser le mort-bois, ébûcheter, essoucher, débroussailler ; puis choisir dans le voisinage quelques baliveaux droits comme des hampes, les abattre, les écorcer, les transporter à bras au chantier, en façonner les bouts en queue d’aronde passante, les dédosser un peu ; puis empiler l’un sur l’autre les corps d’arbres afin d’édifier une hutte chaude.

Gros ouvrages qui n’avançaient guère. Le Fûté exécutait presque toute la besogne. Pierre manifestait plus d’ardeur que d’habileté. Après toutes ces semaines de repos, il se gorgeait de travail. Du matin au soir, c’était : bûche, bûche. La sueur ruisselait sur son corps. Alors David Hache tirait brusquement sur les rênes.

— Jérémie ! s’exclamait-il, respire un peu. Pense avant d’entamer ton arbre, regarde-le ; ça va plus vite, on ne travaille pas pour rien, on ne recommence pas. Trouve le joint. Tu ne finiras pas plus tôt si tu te fais mourir.

Mais après, Pierre s’emballait de nouveau. Il s’absorbait, et si Le Fûté lui criait un mot, il sursautait.

— Non. Un coup de hache au bon endroit en vaut cinq. Ne frappe pas si fort, mais frappe juste.

« Frapper juste », quoi de plus simple au premier abord ? Mais à l’expérience, on constate vite que la volonté ne conduit pas la cognée. Les muscles doivent s’ajuster, se mettre au point. Bras et corps se délient. La hache devient le prolongement des membres et obéit au désir. L’accord peut prendre des semaines à s’établir.

Mais David Hache s’adoucissait devant cette bonne volonté et cette ivresse du travail qui grisait tout à coup le jeune homme et le séparait du monde. Tout au fond de lui-même, comme une source qui