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les opiniâtres

— Leur faire comprendre… disait Jacques Hertel désabusé. Richelieu peut-être, un moment, a entrevu… Mais depuis…

Et les trois hommes débattaient le problème.

Enveloppé dans sa couverture, Pierre se coucha sur le pont ; mais la surexcitation de son esprit, la fièvre de son imagination, ne pouvaient plus s’apaiser. De temps à autre, il se relevait pour apercevoir le calme de la nuit lumineuse, le repos des îles, masses noires sur la surface vitreuse des eaux coulantes. Et ses incertitudes de l’après-midi se dissipaient. « Ce fleuve a été algonquin, pensait-il ; il est ensuite devenu iroquois ; mais maintenant il demeurera français ».

Doué d’un esprit constructeur, Pierre se tenait maintenant, tout frémissant, devant la carrière du travail américain : pans de forêts à abattre, chemins à ouvrir, villes à édifier, agriculture à introduire partout. Construire, mettre en valeur, voilà les actions qui tirent au premier plan dans l’homme les qualités les plus solides : courage, force, joie, droiture. Elles tonifient aussi bien l’âme que le corps en refoulant les petitesses, en imposant la pondération, la sagesse. En Nouvelle-France, l’individu ne serait plus asphyxié dans la foule comme le poisson qui manque soudain d’eau pour nager. Il ne mijoterait pas dans la pauvreté, le mécontentement, la faim. Au lieu de s’user en vain, l’énergie produirait toujours d’immenses résultats. L’initiative se déploierait avec ampleur ; la vigueur découvrirait des arènes licites. Pourquoi l’homme ne redeviendrait-il pas bon envers l’homme puisqu’il pourrait amasser sa richesse sans l’enlever à autrui, manger sa nourriture sans la dérober à son prochain ? Au lieu de guerroyer les uns contre les autres, les humains tourneraient leurs armes contre la terre. Et de toutes ces entreprises pourrait éclore une humanité saine, au verbe franc.