Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/69

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ysabau s’éveilla dans la clairière en pleine forêt. Un instant, elle écouta le pépiement d’oiseaux inconnus ; puis, régna l’odeur de la gomme de pin. Au dehors s’offrait le fruste paysage du défrichement. Protégé par les futaies, il débordait de calme en tout temps. Jamais de brise ou de vent. Et, ce matin-là, soleil, silence, chaleur et parfum mêlés et imprégnés l’un dans l’autre, l’emplissaient comme un lac reposant dans un ancien cratère. Habituée aux clameurs et aux poussées des bourrasques dans les rues de Saint-Malo, Ysabau observait cette étrange coupe de paix.

Elle supplia Pierre de ne rien changer à ses plans. Mais le menuisier devrait tout de même venir. Cognées, varlopes, doloires, ébauches de jougs ou de moyeux, blocs de sciage s’entasseraient sous un appentis. Des billots grossièrement taillés avaient servi de siège assez longtemps ; la table n’était pas assez grande, le lit, trop sommaire. Où entasser draps, couvertures, le trousseau complet si ce n’est dans une armoire à gros cabochons ? Et la cheminée exigeait casseroles, marmites et chaudrons bien fourbis.

Mais l’orgueil de Pierre se concentrait sur son domaine.

Il lui en avait parlé déjà. L’après-midi même, il entraîna Ysabau par le bras dans le sentier en lacets. Une fois foulée par les épaisseurs de neige de l’hiver, une fois bêchée, hersée, semée, la terre spongieuse de la forêt s’était tassée à un niveau plus bas, entre les souches. Par contraste, celles-ci semblaient s’être exhaussées, et, d’une première vue, l’on n’apercevait qu’elles. Mais en avançant, Ysabau se détrompait. Alourdies d’une abondance de sève, attendries par la richesse des sucs, les plantes d’un vert noir jaillissaient des creux,