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les opiniâtres

s’affaissant et s’écroulant sous leur propre poids. Pas les tiges de blé indien, bien sûr, qui dépassaient la tête d’un homme, grosses comme le poignet et juchées de surcroît sur des buttes ; ni les légumes tendres et juteux ; mais le blé noir, les pois, les seigles qui se couchaient au temps de l’épiage et s’aplatissaient à la première pluie accompagnée de vent.

— Le terroir est trop riche, comme dit Le Fûté, mais ça lui passera.

Pierre et Ysabau couraient parfois et se poursuivaient dans les zigzags du sentier, entre cépées et froment qui formaient comme une brousse à hauteur de tête. Dans leur inspection, ils introduisaient les jeux de l’amour. Mais Pierre appréhendait toujours qu’Ysabau ne s’habituât point. Celle-ci riait alors de son rire rauque de gorge et disait : « Pauvre Pierre innocent ». Mais il poursuivait quand même :

— Au début, tu te dis à toi-même : mes mains sales, mes habits sales, ma livrée de servitude. Puis tu comprends ; tu es en contact avec l’humus, avec les éléments producteurs des nourritures. Tu verras : on dépose un grain, on repique un plant ; c’est la même chose que si l’on enfouissait un petit alambic vivant. Celui-ci puise des sucs dans le sol, il les distille, il y trouve de la teinture, du sucre, une chair, une forme, une taille, des fleurs, des fruits, de l’eau…

Pierre racontait ainsi son émerveillement devant les richesses que les végétaux découvrent dans le sol et transforment.

— Un jour, nous posséderons cent cinquante arpents en champs unis : des emblavures, des pâturages, des prairies, puis des ségrais que j’aurai conservés.

Ils entrèrent en forêt par une coursière à peine tracée au travers du sous-bois, torte, franchissant un arbre mort, contournant un orme, côtoyant un rompis, s’enlisant dans un marais. Et tout du