Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
87
les opiniâtres

dérables, comme au flanc d’une dune, le sablon sec et blanc. Et, dans le sentier sans cesse comblé, les pas crissaient comme s’ils avaient glissé sur du métal.

Pierre pelleta la neige autour d’un tronc afin de le couper le plus possible au ras de terre. Un haut remblai s’entassa vite près de lui. Ysabau descendit dans cet entonnoir. Tous deux, ils attaquèrent de la hache et du godendard le gros orme gelé jusqu’au cœur. Le mouvement violent activait la circulation sanguine. « Nous enlevons une pelure », dit Ysabau en riant, les joues rouges. Ils se dépouillèrent des manteaux de cuir. Les vêtements de laine qu’ils conservèrent ne les gênaient pas aux entournures.

Bras déliés, ils frappaient plus durement, avec moins de maladresse. Le soleil pâle les réchauffait un peu au fond de cette excavation. Et ainsi s’écoula le jour.

Il fraîchit vite lorsque le soleil baissa ; on aurait dit un feu qui s’éteint graduellement. La fatigue rendait les membres plus frileux qu’au matin, les mains gourdes échappaient le manche glacé. Alors renaissait le besoin de la flamme. Patiemment, lourdement, sous la bise vigoureuse qui les souffletait, les deux bûcherons revenaient à la cabane. La souffrance du corps était telle que la course devenait impossible. « Ta joue est gelée », criait Pierre ; Ysabau ramassait une poignée de cette poudre froide qui ne scintillait plus et frottait.

Enfin se présenta la maison aux trois quarts enterrée sous des épaisseurs de feutre blanc. Comme une vieille du pays breton, elle portait une lourde coiffe de neige immaculée, bien godronnée, bien gaufrée. La porte s’ouvrit sur les lamentations des gonds engainés de frimas. Tout de suite, le feu jaillit entre les bûches d’érable entrecroisées ; au début, il n’émettait pas de chaleur ; mais un peu de patience, et ses vagues de plus en plus intenses fondirent le givre des vitres, des