Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/90

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
88
les opiniâtres

fentes, des objets de métal, refoulèrent inexorablement le froid ; elles répandaient autant de bien-être dans les membres que tout à l’heure l’air rude du dehors.

Après avoir enlevé ses vêtements, Ysabau redevint la jeune femme svelte. Elle dansait autour de l’âtre et jouait avec Pierre des jeux énervants.

Ce soir-là, après le souper, Pierre fendit du merrain ; le chêne se débitait bien. Parfois, un ouvrage de couture à la main, Ysabau s’accoudait au coin de la chaise et elle observait. Pierre présentait à son admiration des planches de bois de cœur ; il lui indiquait la finesse du grain, l’ondulation des fibres, les nuances de la veinure, des courants moirés et glacés. Elle maniait la douelle un moment.

— J’en ai une plus belle encore dans ma malle. Tu aimes ton bois mieux que moi, Pierre.

Elle jouait dans les cheveux de Pierre, elle repoussait de la main billot et outils ; ses yeux émettaient maintenant des lueurs violettes ; elle griffait et mordait.

— Est-ce que je ne le vaux pas, moi, tout ton domaine, le douvain avec ?

Pierre se remit au travail. Il poursuivait le cours de ses méditations calculatrices, augmentant en pensée d’un an à l’autre l’étendue de ses emblavures, de ses terres pâturables, le nombre de son cheptel, l’amas des poutres en bois de brin. L’année suivante, il retiendrait les services d’un engagé. Dans dix ans, sa ferme occuperait au moins cinquante acres ; la maison et ses dépendances se prélasseraient au milieu. Vu la prodigieuse abondance de chasse et de pêche, Ysabau et lui vivraient non seulement dans l’aisance, mais encore dans la richesse. Pierre compterait alors trente-quatre ans, Ysabau, trente. La jeunesse, quoi ? Ensuite, il pourrait conduire plus