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communication des professeurs d’abord, et ensuite de l’Archevêque qui les protège ?

Voyons ! Est-ce assez de folie, et d’ineptie ? Pourquoi nous occuperions-nous davantage de cette école de la colère dévote qui en est rendue à accuser indirectement l’Archevêque d’hérésie, et à l’accuser très directement de protéger une institution où l’on s’est défait de l’esprit romain ? Et qui s’est défait de l’esprit romain, d’après la feuille fanatique ? Celui même qui était recteur de l’université et qui est aujourd’hui Archevêque ? (Nouveau-Monde du 17 Mars.)

L’Institut fut donc mis, après la scission de 1858, sous les censures ecclésiastiques, mais non dans les formes voulues par le droit ecclésiastique ; car Sa grandeur, qui se savait irresponsable, n’observa aucune des règles établies, et donna tout simplement instruction aux membres du clergé, par une circulaire privée, de refuser les sacrements aux membres de l’Institut. Point d’avis, point de monitions personnelles ; partant, point de défense ; sa volonté seule faisait la loi.

Une mesure arbitraire à ce degré ne pouvait produire que de l’irritation, et plusieurs années s’écoulèrent avant qu’il fût question de s’occuper de la possibilité d’un rapprochement. En 1863 néanmoins, un comité fut nommé en séance régulière de l’Institut et fut chargé de prendre les moyens d’aplanir les difficultés entre les membres catholiques de l’Institut et l’autorité diocésaine. Ce comité eut une entrevue avec Sa grandeur qui se tint sur la limite de l’extrême réserve, faisant comprendre, sans le dire en toutes lettres, que rien qu’une soumission complète — à la déraisonnable exigence de l’expurgation de la bibliothèque comme elle l’entendait — ne pourrait la satisfaire. Le comité crut pourtant devoir tenter un dernier effort.

Soupçonnant beaucoup que toute cette querelle à propos des livres n’était qu’un prétexte pour voiler un but que l’on ne voulait pas explicitement avouer, le comité décida de transmettre à S. G. le catalogue de la bibliothèque et de la prier de vouloir bien indiquer les livres à l’index. Après avoir gardé le catalogue pendant sept mois, Sa Grandeur le rendit en refusant péremptoirement d’indiquer ces livres. Il devenait donc acquis que l’on avait un autre but encore que l’expurgation de la bibliothèque. Ce but, que Sa Grandeur voulait obtenir sans prononcer le mot, était la désorganisation de l’Institut en imposant la résignation comme devoir de conscience aux catholiques qui en étaient membres. Et la vraie raison de toute cette savante tactique était le désir d’étouffer un foyer d’idées libérales où les gens se permettent de discuter, et de choisir des livres, sans soumettre le tout à M. le Chapelain comme dans ces associations où l’on forme si brillamment l’esprit des jeunes gens. Avec un Chapelain pour surveillant, toutes nos discussions ne pourraient plus avoir d’autre tournure ni d’autre objet que le triomphe de l’idée ultramontainesde la suprématie absolue du Pape au temporel comme au spirituel. Nos lectures se borneraient à l’école des de Maistre et des Veuillot, ces deux effrontés falsificateurs de toutes les questions historiques qu’il ont touchées ou discutées. Nous descendrions au pitoyable rôle réservé aux jeunes gens dans ces bienheureuses associations où l’on ne doit dire ou penser que ce que M. le révérend père tel ou tel veut bien vous faire la grâce de vous permettre ; où l’on affirme gravement par exemple, à un auditoire, que jamais personne n’a osé répondre au magnifique livre de M. Veuillot sur « le droit du Seigneur » — affirmation qui ne prouve que la déplorable ignorance du révérend père qui l’a faite — dans ces associations où l’on affirme à la jeunesse que chaque mot du Syllabus est devenu article de foi, ce qui implique l’obligation de croire que tout le droit moderne, si supérieur à l’ancien droit inquisitorial, n’est qu’erreur et tyrannie envers l’Église ; ce qui implique encore l’obligation de croire que la justice civile viole le droit divin