Page:Dessaulles, Barnabo - Dernières correspondances, 1871.djvu/5

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 3 —

graves mécomptes quand il se trouve en conflit avec le savoir plus complet des hommes qui ne se sont pas fatalement murés dans l’Index.

Or où le savoir s’acquiert-il ? Dans les livres. Où trouve-t-on les livres ? Dans les bibliothèques. Si une bibliothèque est composée, disons au seul point de vue de l’ultramontanisme, tout ce qui sort de ce cercle d’idées est condamné ; donc l’étudiant qui prendra son savoir dans une pareille bibliothèque restera toujours, quoiqu’il fasse, un esprit incomplet, souvent farci de préjugés qu’une étude plus généralisée aurait empêchés de se former chez lui.

L’ultramontanisme sait parfaitement ce qu’il fait en voulant former les bibliothèques de son seul point de vue ; il sait que c’est un moyen infaillible de mouler les esprits comme il l’entend, et d’exercer indéfiniment ce despotisme moral, social et politique qui fait tout le fond du système, et qu’il a érigé en dogme partout où il l’a pu.

Voilà ce que l’on veut faire ici : n’avoir que des bibliothèques qui forment toutes les intelligences sur le même moule et qui empêchent autant que possible les hommes d’étude de sortir du cercle que l’on trace rigoureusement à l’esprit. Avec ce système le clergé tient dans sa main toute l’intelligence d’un pays, tout son mouvement politique, tout son progrès intellectuel et même toute l’action du gouvernement, et il écrase tout ce qui lui résiste.

Et les conséquences de tout cela sont les beaux résultats que nous pouvions étudier naguère en Espagne et en Italie, la nullification de l’intelligence publique et conséquemment de l’opinion publique, et par suite la décadence nationale.

Eh bien, nous, membres de l’institut, nous ne faisons de lutte énergique que contre les tendances dominatrices du partie ultramontain, qui veut s’immiscer dans toutes les questions, depuis la plus haute question d’étude scientifique jusqu’à la plus infime question politique ou sociale, et qui, partout où il l’a pu, a proscrit l’étude et la science. J’ai recueilli des matériaux assez considérables pour démontrer son hostilité de tous les temps au libre développement de l’esprit humain, et je pourrai vous en faire part quelque jour.

En défendant notre bibliothèque, si incomplète qu’elle soit, contre l’étroit esprit d’exclusion que montre l’autorité diocésaine, nous rendons service même à ceux qui nous sont hostiles parcequ’on les a aveuglés sur la vraie signification de notre lutte. D’ailleurs nous ne sommes pas les seuls attaqués. Ne voilà t-il pas l’Université Laval accusée de laisser lire et étudier Pothier et, chose bien autrement remarquable, Bossuet lui même ? Car remarquez bien une chose : le grand Bossuet, surnommé le dernier des pères, le grand Bossuet lui-même est décrété d’hérésie à l’heure qu’il est ; et un ecclésiastique français de l’école Veuillet l’a représenté l’année dernière comme plutôt la honte du clergé de France que sa gloire, « comme on l’avait toujours cru. »

Voilà où l’on en est rendu ? Eh bien nous ne voulons pas de ce fanatisme, ni de cet esclavage. Et quand nous voyons l’Université Laval elle-même, sous la tutelle immédiate de l’Archevêque de Québec, décrétée de tendances suspectes et de gallicanisme par le Journal des Trois-Rivières et le Nouveau-Monde, parce qu’elle met Bossuet entre les mains des élèves, il est certainement temps de dire à l’Ultramontanisme : « Voyons : En voilà assez. Si l’on ne doit plus lire que Veuillot, mettez donc de suite le bonnet d’âne sur l’humanité ! »

La bibliothèque de l’Université Laval mérite donc aussi l’expurgation. On en doit de suite bannir tous les auteurs gallicans : Ellies Dupin, Pithon, Pothier, Arnaud, Bossuet, Durand de Mailane, et cent autres. Ne vient-on pas de nous dire ici même que le gallinisme était « la dernière et la plus hypocrite des hérésies ? » Et voilà que cette hérésie, d’après nos journaux modèles, couve sourdement dans l’université Laval ! À quand donc l’ex-