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en punissant, par exemple, un ecclésiastique pour un crime qu’il aurait commis. Trop peu de personnes ici réfléchissent sur ces conséquences, et sur la vraie portée des prétentions ultramontaines.

On cache, aux yeux des gens peu instruits, ces prétentions inadmissibles sous l’idée généralisée des immunités ecclésiastiques. Ce mot en lui même parait très inoffensif à ceux qui n’ont pas étudié l’histoire des prétentions ultramontaines sur la suprématie absolue en tout et partout du pouvoir ecclésiastique. Mais ceux qui ont suivi à travers les siècles les résultats de ce qu’on appelle tout innocemment en apparence l’immunité ecclésiastique, savent que ce mot ne signifie pratiquement que la juridiction immédiate du prêtre sur les sociétés, les gouvernements, les institutions, les lois et même les tribunaux civils, et son entière indépendance, même dans les cas de crimes, de la société civile. C’est-à-dire que dans ce beau système, tout relève du prêtre qui, lui, ne relève de personne.

Eh bien, pour en revenir à mon sujet, le refus d’indiquer les livres que l’on représentait comme un poison était, de la part d’un Évêque, bien autrement grave comme violation de devoir que le simple fait de leur possession par des laïcs. N’ayant pas de liste de l’index, nous ne pouvions pas, même avec toute la bonne volonté possible, connaître tous les livres à l’index que pouvait contenir notre bibliothèque ; d’autant plus qu’il était difficile de soupçonner que l’on eût pu mettre à l’index des auteurs comme Pothier ou Dupin, ou des ouvrages comme les « Provinciales » et le « Voyage en Orient. »

Le refus de l’Évêque de nous indiquer ces livres nous mettait donc tout simplement en règle au point de vue du for intérieur. Il n’y avait dès lors plus de culpabilité pour les catholiques de l’institut à laisser la bibliothèque telle qu’elle était jusqu’à ce que l’autorité diocésaine comprît enfin son devoir. La passion avec laquelle on nous a traités empêchait l’Évêque de voir une chose aussi évidente, mais les théologiens qui examinent cette question sur son propre mérite et sans acception de personnes, c’est-à-dire sans s’occuper de la situation compromettante où s’est placé l’Évêque non plus que de la tactique hostile ordonnée à l’égard de l’Institut ; ces théologiens, dis-je, admettent que le refus d’indiquer les livres à l’index mettait l’Évêque dans son tort.

Mais pourquoi l’autorité diocésaine refusait-elle de remplir son devoir sur ce point ? Je vais vous en dire la vraie raison, car toutes celles que l’on a données n’étaient pas sérieuses ; n’étaient vraiment que des feintes pour produire un effet sur la masse.

« L’Institut, a-t-on dit, n’ayant pas voulu s’engager à retrancher tous les livres à l’index, pourquoi les aurait-on indiqués ?

Voilà précisément ce qui ne peut s’appeler qu’un prétexte, et jamais une raison acceptable à un homme sensé. Car enfin l’Évêque se dit mu par le seul intérêt spirituel de ses ouailles. Or quand quelques-unes d’entre elles allaient, ou lui faisaient demander : « Monseigneur, vous nous dites qu’il y a dans notre bibliothèque des livres qu’un catholique ne peut lire ; voulez vous bien indiquer ces livres pour que nous les connaissions ; » l’Évêque était-il justifiable de refuser cette indication sous le prétexte que quelques membres de l’Institut les liraient encore malgré l’index ? Était-il juste, était-il bien pastoral de dire : « Parce-que quelques uns d’entre vous ne craindront peut-être pas ce poison, je ne l’indiquerai pas à ceux qui le veillent l’éviter ? Parce qu’il y a des non-catholiques dans l’Institut qui n’admettent pas l’index, — qui n’a jamais été, jusqu’à ces derniers temps, admis en France même où pourtant l’on était catholique — je n’indiquerai pas le danger aux catholiques !  ! »

Ah ! vraiment, il y a beaucoup trop d’humanité là dedans ! Et j’ose me permettre d’appeler cela : mettre son petit moi à la place de son devoir.

Nous avons offert tout ce que nous pouvions faire sans violer le droit des