Page:Dessaulles, Barnabo - Dernières correspondances, 1871.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 31 —

bois : » la justice romaine telle qu’il la trouvait alors et à peu près telle qu’elle est restée depuis.

Non ! Je comprends parfaitement pourquoi l’on m’a condamné ! J’ai eu le malheur de heurter les idées ultramontaines sur la suprématie absolue du Pape, même dans les matières purement temporelles ; idées que l’on réussit sans doute à faire accepter çà et là par la masse ignorante, mais que partout les gouvernements repoussent avec raison, et que les hommes qui tiennent à leur libre-arbitre, et qui ont surtout étudié l’histoire ecclésiastique, n’accepteront jamais.

On m’a dit ici que j’avais donné sujet de mécontentement en prêchant la tolérance ; mais je ne puis absolument pas croire que l’on soit assez étranger, en Italie, à ce qui se passe ici, aux faits saillants de notre état social et politique, pour ignorer que nous vivons dans un pays de majorité protestante et sous une mère-patrie protestante. Ce n’est donc pas à nous, qui sommes les plus faibles, à exercer l’ostracisme envers ceux qui n’ont pas les mêmes opinions religieuses que nous. Il y a bien des choses qui se disent en Italie et qu’il vaut mieux taire sur notre sol d’Amérique où l’idée républicaine, et conséquemment le principe de la souveraineté du peuple, est la seule base possible des institutions, et où le protestantisme est si énormément prépondérant par le nombre.

Il serait temps que l’on comprit enfin qu’il y a nécessairement divergence fondamentale entre le républicanisme américain et l’ultramontanisme en tant qu’il exprime les idées d’autrefois sur la royauté universelle du Pape.

Car enfin l’ultramontanisme signifie malheureusement aujourd’hui la condamnation de la « civilisation moderne, » c’est-à-dire de ces grands principes de liberté religieuse, politique et civile dont elle a doté le monde ; donc la condamnation de toutes les conquêtes que les peuples ont faites sur les vieux despotismes. L’ultramontanisme, d’après ses organes les plus autorisés, la Civiltà Cattolica entre autres, signifie malheureusement aujourd’hui la condamnation des parlements, des municipalités, des élections, institutions qu’elle a comparées aux os décharnés d’Ezéchiel, et auxquelles pourtant les nations ne renonceront pas parceque les membres de la curie romaine n’en comprennent ni le fonctionnement ni les bienfaits.

L’Ultramontanisme signifie enfin la domination de l’Église sur l’État, et la domination du Pape sur l’État et l’Église à la fois ; donc l’ultramontanisme signifie aujourd’hui comme au temps de Grégoire vii, la monarchie universelle et absolue du Pape sur les nations et leurs institutions puisqu’on le déclare infaillible sur les questions de mœurs comme sur les questions de dogme. De ce moment tout libre arbitre, toute véritable indépendance nationale ou personnelle, et conséquemment toute initiative propre, se trouvent détruits dans les sociétés comme chez les individus. La liberté politique aussi devient illusoire, car nul gouvernement ne peut plus légitimement faire des lois et les appliquer sans les soumettre au Pape. Et la chose va de soi si les Parlements et les institutions populaires ne sont plus comparables qu’à des os décharnés ! Et voilà la vraie pensée des hommes qui dirigent la curie romaine.

C’est donc à dire que les sociétés les plus progressives parce qu’elles sont les plus libres devront soumettre leurs institutions, leurs lois, leurs plus légitimes aspirations au jugement des membres de la curie romaine, précisément les hommes les plus arriérés de l’Europe en matière d’institutions politiques et de droit public. Comment peut-on espérer qu’un Parlement ou un Congrès quelconque puisse accepter dans la confection des lois le contrôle d’hommes que l’on voit rester si opiniâtrement attachés au vieux droit inquisitorial, répudié aujourd’hui dans tout monde civilisé, et se montrer si profondément hostiles au principe le plus fondamental du droit public : « le droit de la communauté, de la nation, de déterminer souverainement par quelles institutions elle sera régie. »