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non-catholiques de l’Institut : séquestrer les livres à l’index comme indication aux catholiques qu’ils ne pouvaient les lire sans permission. Comment pouvions-nous priver entièrement tous les membres de l’Institut de ce qui était propriété conjointe et indivise ? Comment pouvions-nous raisonnablement ôter aux membres protestants par exemple, un livre écrit au point de vue protestant, comme Hume, ou Hallam, ou l’histoire des protestants de France ? Quand des gens en autorité agissent, il faudrait au moins qu’ils comprissent la portée légale des actes qu’ils veulent imposer. Et ici l’Évêque ne voyait pas une chose pourtant bien simple : que nous ne pouvions pas priver de sa propriété un membre qui voulait la conserver et à qui elle pouvait être nécessaire pour ses études. Nous n’avons pas, comme l’autorité ecclésiastique, l’habitude de l’arbitraire et de la violation des droits d’autrui sur les moindres prétextes.

On nous dira peut-être que cela montre que nous ne devrions pas avoir de protestants dans l’Institut. Alors que l’on excommunie donc les membres de l’Institut de France et de toutes les sociétés littéraires du monde qui ont des protestants ou des juifs comme membres ! Tant qu’on ne l’aura pas fait, tout ce que l’on nous fait subir d’arrogance dans les prétentions et d’injustice dans les jugements ne montre que l’étroitesse d’esprit de ceux qui veulent faire des lois pour nous seuls en se couvrant du grand nom de l’Église.

Ce que nous offrions était donc tout ce qu’un homme qui aurait voulu la paix et non la guerre pouvait raisonnablement demander. Bien des Évêques, dans le monde, n’en demandent pas même autant. Mais on avait formé le projet de forcer l’association à se débander ; on se croyait assez fort pour l’écraser si elle s’y refusait, et l’on mettait, comme d’habitude, l’opiniâtreté à la place de la raison.

Je sais bien que ceux qui cherchent par ordre à excuser ce qu’ils savent bien être inexcusable, vont dire que l’Évêque ne pouvait pas laisser le poison à proximité des catholiques sans exposer leur conscience. Mais ne l’exposait-il pas au moins autant en refusant de l’indiquer ? D’ailleurs, en me rendant le catalogue, Sa Grandeur elle-même m’avait rappelé ce que les catholiques avaient à faire. « Ils peuvent toujours, m’a-t-elle dit, s’adresser à leur confesseur pont connaître ces livres. »

Puisque le remède est si simple, pourquoi donc cette grande guerre de douze ans de durée ? Nos livres n’étaient donc pas la seule raison de la guerre ?

Est-ce que la séquestration que nous offrions n’aurait pas aidé les catholiques à connaître les livres qu’ils ne doivent pas lire sans consulter le confesseur ? Vous voyez bien qu’il n’y avait rien autre chose chez l’Évêque que le parti-pris de ne rien entendre. « Je le veux, cédez ! » Eh bien, à mon humble avis, les hommes sages et éclairés ne parlent pas ainsi !

Il a aussi donné pour prétexte que c’étaient des individus, et non le corps, qui demandaient l’indication des livres à l’index. Voilà encore ce qui prouve plus que tout le reste le manque de sincérité. Ce sont les individus, et non le corps, qui lisent, et qui pêchent, s’il y a vraiment péché à lire Pothier, ou Lamartine, ou Pascal, ou la déclaration du Clergé de France de 1682 ! Mais comme il faut en finir une bonne fois avec ces mesquines défaites et ces raisons saugrenues, je vais poser la question suivante à nos ennemis :

L’Archevêque de Paris, l’Archevêque de Vienne, ou l’Évêque de Bruxelles, refuseraient-ils à un ou plusieurs membres des sociétés savantes ou littéraires qui se trouvent dans ces villes, de leur indiquer les livres à l’index de leurs bibliothèques sous le prétexte que ce ne sont pas les corps qui en font la demande ? Diraient-ils à un catholique qui demanderait l’indication du poison : « Je ne vous le montrerai que si le corps lui-même me fait faire officiellement cette demande ? »

Allons donc ! Il faut mettre un peu de raison et de sens commun dans