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XII


Un étudiant de 18 ans, dans sa dernière année de collège, sera surpris lisant un livre de médecine ou d’anatomie. Il y a dix contre un à parier qu’on le punira très sévèrement, si même on ne le chasse pas, pour s’être procuré un livre que l’on regarde comme très dangereux pour lui. Quatre mois plus tard, ses études finies, ce même étudiant se décide à suivre la carrière de la médecine. Eh bien on lui remettra, sans considérer qu’il y ait le moindre danger, ce même livre que, quelques semaines plus tôt, on regardait comme si hautement pernicieux ! Les inquiétudes que l’on manifeste sont donc souvent plutôt conventionnelles que de principe rigoureux.

Dans un certain ordre d’idées, les étudiants en médecine ne lisent, n’étudient que des livres considérés comme dangereux, propres à produire de mauvais effets sur de jeunes imaginations. Cela les démoralise-t-il, et les médecins forment-ils une classe plus immorale que les autres ?

Supposons que l’Institut, dans le but d’être utile aux médecins qui en sont membres, ou pour avoir une bibliothèque scientifique complète, décide d’acheter quelqu’ouvrage de médecine ou d’anatomie de première classe. Va-t-on mettre cet ouvrage à part pour ne le montrer qu’aux médecins ? Mais il a été payé à même la bourse commune ! Il est la propriété de chacun des membres de l’Institut ! Va-t-on dire que l’on ne devra pas acheter ce livre utile parce que l’Institut contient des jeunes gens ? Mais l’Institut compte peut-être, parmi ses membres, vingt étudiants en médecine pour qui l’achat de cet ouvrage aura été une bonne fortune vu qu’ils ne peuvent pas se le procurer par leurs propres ressources ! Va-t-on dire qu’il n’expose pas au danger les étudiants en médecine et qu’il met en danger les mœurs des étudiants en loi ? Il faudra donc, pendant que ceux-là étudieront, surveiller ceux-ci pour les empêcher de jetter un œil indiscret sur les planches ? Nous voilà dont revenus au régime du maître d’étude ! Franchement est-ce que ce régime est applicable à des hommes faits ; à des hommes qui, une fois affranchis de la tutelle nécessaire à la jeunesse, ne seront probablement pas disposés à s’y soumettre de nouveau ?


XIII


Passons à un autre ordre d’idées. Vous voulez étudier les sciences physiques, ou la philosophie, ou même l’histoire ?

Pensez-vous étudier la géologie, par exemple, sans lire des ouvrages qui contrediront en certains cas la cosmogonie de Moyse ? Il vous faudra quelquefois beaucoup d’étude et de recherches pour les réconcilier avec elle. Ils ne sont néanmoins ni immoraux, ni anti-religieux ; au contraire, à l’homme vraiment instruit, ils démontreront souvent l’exactitude générale de la Bible sur les faits fondamentaux ! Pourtant je crois pouvoir dire que cette démonstration n’existera qu’aux yeux de celui qui aura bien saisi l’ensemble des faits et aura su s’affranchir des difficultés de détail. Voilà donc des livres où un homme peu instruit pourra apprendre des choses qui mettront son esprit mal-à-l’aise, pendant qu’ils ne feront que confirmer, même dans ses croyances religieuses, l’homme qui les possèdera bien et qui aura pu les étudier à fond ! Va-t-on dire que ces livres, peut-être pernicieux à celui qui ne les comprendra pas suffisamment, certainement utiles à celui qui les aura fortement étudiés parce qu’ils lui donneront de nouvelles raisons de croire, doivent être bannis de notre bibliothèque vu le peu d’instruction de quelques-uns des membres du corps ? Mais s’il faut proportionner une bibliothèque aux forces intellectuelles de l’homme illettré ; s’il faut mesurer l’étude à ceux qui veulent s’instruire d’après le degré d’avancement de ceux auxquels leur position dans la vie ou leur genre d’occupation ne permet pas d’étudier, où allons-nous ? Au savoir ou à l’ignorance ?

Vous voyez donc, Messieurs, que s’il est toujours facile de dire d’une manière générale qu’il faut bannir les mauvais livres d’une bibliothèque, ce qui est incontestable en principe abstrait, il n’est pas toujours facile de définir, exactement quel est le mauvais livre, car des milliers de livres qui sont jugés dange-