Page:Dessaulles - Discours sur l'Institut canadien, 1863.djvu/12

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reux pour les uns ne le sont pas pour les autres.

Supposons qu’il s’agisse de l’étude de la philosophie. Peut-on l’étudier avec fruit sans lire quelques-uns des ouvrages modernes ? Peut-on laisser de côté Royer-Collard, Dugald-Stewart, Jouffroy, Cousin et quelques-uns des philosophes allemands ? Ce serait une assez singulière manière d’étudier une branche quelconque des sciences humaines que de laisser de côté un aussi grand nombre de ceux qui l’ont le plus approfondie !


XIV


Enfin passez à l’histoire. Étudiez-y le progrès des sociétés, l’esprit des diverses époques, les associations d’idées générales dominantes à telle ou telle phase de la vie de l’humanité, les diverses législations qui se sont succédé ainsi que les principes sur lesquels elles étaient basées ; étudiez-y les systèmes et les hommes ; voyez-y ceux-ci en déshabillé, en quelque sorte, avec leurs passions et leurs convoitises, leurs ambitions et leurs vices : eh bien, l’histoire ne vous offrira-t-elle pas, presqu’à chaque feuillet, pour ainsi dire, des faits, des actes, des cruautés, des tyrannies, des violations de devoir ou de droit qui, si vous les examinez au point de vue du droit naturel ou du droit écrit, de la morale ou de la religion, jetteront dans l’étonnement, dans le malaise, tout esprit réfléchi et logique, s’il veut juger les divers acteurs du grand drame qui se développe sous ses yeux, d’après ces idées fondamentales de justice et de vérité qui doivent diriger les actions publiques ou privées des hommes ?

Si on étudie l’histoire, non au seul point de vue d’un système particulier, d’un ordre d’idées préconçues, mais dans le but de se mettre exactement au fait des progrès véritables réalisés à certaines époques dans les institutions politiques ou dans l’amélioration des conditions sociales ou économiques des nations de la terre, on devra nécessairement, à tel point donné de l’histoire, juger avec sévérité l’abus des choses les plus saintes et regretter que quelquefois les gardiens-nés de certains principes ou de certaines institutions aient été les premiers à les violer ou à les mettre en péril.

En un mot il n’est presque pas un sujet d’étude qui n’offre de danger possible aux esprits mal faits ou peu éclairés : cela dépend beaucoup du point de vue où l’on se place. Faut-il pour cela renoncer à s’instruire ? Faut-il mettre sous clé tous les trésors de la pensée humaine ? Faut-il que nos bibliothèques deviennent des moyens de réaction, ou d’amoindrissement intellectuel ? Faut-il qu’elles cessent d’être des répertoires complets des connaissances humaines ? Faut-il, par exemple, renoncer aux économistes parce qu’ils sont presque tous condamnés ? Pourtant la science de l’économie politique est un peu nécessaire aux hommes publics d’un pays !  ! Faut-il enfin rejetter les trois-quarts des esprits éminents qui ont élevé si haut la raison de l’homme et illuminé le monde ?


XV


Mais à ce mot de raison, je vois ses détracteurs, je vois les partisans ordinaires du despotisme moral, les enfants perdus de l’automatisme intellectuel, prendre leur moins gracieux sourire, leur expression la plus hautaine et la plus dédaigneuse, et nous jetter ce mot de leur invention :

« La raison ! » disent-ils, « la raison n’a prouvé sa force que pour détruire, elle n’a jamais rien fondé de solide. »

Donc, naturellement, sa supériorité est une chimère !

Donc son indépendance est un danger.

« C’est la folle du logis » s’écrie une école qui croit faire acte de haute raison en niant la raison.

Au reste nous avons vu de tout temps cette école non-seulement nier les droits de la raison humaine, mais lui contester même ses plus évidents bienfaits ! Nous l’avons vue de tout temps lancer ses sarcasmes passionnés, ses colères inextinguibles sur tout ce qui pouvait tendre, de près ou de loin, à consacrer l’indépendance de l’esprit humain.

Voyez-les, ces Pharisiens du siècle, toujours disposés à faire la nuit sur le genre humain, regarder la science comme une hérésie, la civilisation comme un danger, le progrès comme un mal-