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montrer les erreurs de logique du prêtre sur toutes les questions de la philosophie du droit et forcer peu à peu celui-ci de reconnaître ses torts et de renoncer à mille prétentions qu’il appuyait faussement sur la parole de Dieu et la révélation ! Depuis six siècles surtout, l’histoire n’est que le résumé des conquêtes incessantes de la faillible raison laïque sur l’infaillible raison ecclésiastique, et des reculades multipliées de celle-ci dans le domaine de la pensée comme dans celui de ses prétentions à dominer le temporel. Que l’on compare ce que l’Église permet aujourd’hui avec ce qu’elle prohibait rigoureusement au treizième siècle, et l’on verra de suite qu’elle n’a fait que reculer de position en position devant la conscience de plus en plus éclairée de l’humanité sur toutes les grandes questions sociales, économiques, et scientifiques surtout.

Or, Mgr, la manière dont le Clergé de Rome, et par suite le Clergé local comprend et applique la justice, ainsi que sa prétention à dominer en tout l’esprit et la conscience des hommes, sont des choses trop graves pour qu’elles ne fassent pas un jour la ma-

    supérieurs, c’est que Mgr de Montréal, qui s’en vient nous représenter l’Archevêque comme l’ayant surpris auprès des juges et évincé sans qu’il en sût rien, sait comme moi que ce sont les juges seuls qui sont coupables de s’être laissés surprendre si surprise il y a eu. L’Archevêque n’a pas pu oser demander aux Juges de ne pas inviter Mgr de Montréal à donner ses raisons. Et que l’Archevêque, en mettant les choses au pire, le voulût ou non, les Juges n’en devaient pas moins inviter son adversaire à les donner. Mgr de Montréal n’a donc pas le droit de chercher à faire croire qu’il y a eu surprise de la part de l’Archevêque, car les Juges seuls devaient voir à ce qu’une des deux parties ne pût-être surprise ! Et quand Mgr de Montréal vient prétendre qu’il y a eu surprise, c’est clairement au Juge qu’il doit reprocher cette surprise, et non à la partie. Pourquoi Mgr de Montréal ne dit-il pas un mot du Juge ? Pour cette seule raison que même quand ces Juges là se trompent, il faut arranger et contourner les choses de manière à faire croire au peuple qu’ils ne se trompent jamais ! Voilà le système ecclésiastique ! Mais est-ce là de la conscience chrétienne ?

    Eh bien, c’est cet homme qui a été condamné comme nous avant d’avoir pu dire un mot ; c’est cet homme qui conséquemment connaît mieux que personne les allures de la justice romaine, qui nous traite de calomniateurs parce que nous avons dit que nous avions été condamnés à Rome sans être entendus ! Il vient maintenant nous informer qu’il a été lui-même traité de la même manière avant nous, et il a osé dire, sur son caractère d’Évêque, que l’on n’agissait pas ainsi à Rome ! Mais pourquoi donc est-il tombé des nues ? Parce que l’Archevêque avait gagné sa cause avant que lui-même eût pu dire un mot ! Et tout cela était fait quand il affirmait que cela ne se pouvait faire à Rome !  ! Serait-il donc vrai que l’on ne peut pas obtenir la vérité d’un ecclésiastique quand il s’agit de la faute d’un supérieur ?

    Le Pape lui-même fait dire par Mgr Nardi, à Mgr de Montréal de ne pas pousser son projet. C’était dire que l’on donnait gain de cause à l’Archevêque. Le Pape ignorait-il que Mgr de Montréal n’eût pas été entendu ? Certainement non, puisqu’il n’avait pas pu décider en faveur de l’Archevêque sans au moins se demander : « Mais, qu’est-ce que mon bon Bourget a à dire là-dessus ? » Si le Pape ne s’est pas même demandé cela, il s’est très certainement trompé et a commis une grave injustice. Est-il plus permis au Pape qu’à un autre de donner gain de cause à une partie sans entendre l’autre ? Est-ce en n’entendant qu’un côté que le Pape possède cette infaillibilité que l’on attribue maintenant à ses décisions sur les moindres affaires qui se transigent à Rome ? « Allez au tribunal infaillible ! Nous sommes heureux d’être appelés devant le tribunal infaillible ! » Et cela à propos d’une question de régitres de paroisse, ou d’une rivalité locale d’Évêque à Évêque ! Ah, M. de Montalembert voyait clair quand il parlait de l’atmosphère de flagorneries où nous vivons ! Où est le fourbe qui viendra soutenir en présence d’hommes sérieux que le Pape est infaillible dans un procès entre deux Évêques, surtout quand il n’a entendu que l’un des deux ? Et c’est pourtant sur ces questions que notre ultramontanisme local parle à tout propos d’infaillibilité ! Et c’est Mgr de Montréal lui-même qui nous informe que la question est devant le tribunal infaillible et, qui vient nous raconter comment, sur cette question là même, le tribunal à déjà une fois donné gain de cause à l’Archevêque sans l’entendre ! Voilà un curieux certificat d’infaillibilité ! Le Pape a prononcé sur une question sans la connaître puisqu’il n’a pas entendu l’une des parties, et il n’a pas pu se tromper !

    Eh bien, voilà des choses claires, palpables, irrésistibles. On m’insultera, mais on n’osera pas aborder franchement les faits. On me calomniera, mais on ne me dérangera pas d’une ligne sur ce que je dis ici. Que l’on veuille donc bien, pour l’amour de Dieu, de la conscience et du bon sens, cesser de nous parler d’un tribunal infaillible qui donne gain