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que Espagnol qui affirmait avec emphase que l’infaillibilité personnelle du Pape avait été de tout temps crue en Espagne, quand il est constant que les Évêques espagnols, à Trente, avaient formellement déclaré qu’ils s’opposeraient à toute tentative de la faire décréter ? Serait-ce cet autre savant Archevêque espagnol qui déclarait avoir tellement soif de nouveaux dogmes qu’il désirait voir proclamer aussi la nature divine du pouvoir temporel et l’inviolabilité de droit divin des états de l’Église ? Serait-ce cet autre savant Évêque italien de la majorité qui affirmait carrément que « ceux là sont fils de Satan qui disent que les Évêques sont juges dans l’Église ? » Serait-ce encore ce sage Évêque français qui, dans un sermon, appelait la minorité : « ce parti de niais, ces aveugles conduits par un borgne !  ! »[1] Voilà la science historique des Évêques de la majorité mise en regard de la science sérieuse et profonde de ceux de la minorité. Je ne nie certes pas qu’il y eût aussi des lumières dans la majorité, mais ce qui est incontestable pour ceux qui ont suivi le Concile avec l’attention voulue, c’est que la connaissance approfondie de l’histoire et de la tradition, les citations correctes et les appréciations honnêtes des faits, étaient du côté de la minorité, qui d’ailleurs a constamment montré une immense supériorité intellectuelle. C’est un fait d’ailleurs que les 226 Évêques de la minorité représentaient ensemble plus de 115,000,000 d’âmes, pendant que les 500 Évêques de la majorité n’en représentaient que 70,000,000 à peine !  !

Au reste je n’entends pas entrer ici dans une discussion étendue de ces choses. Je me contenterai de demander à V. G. pourquoi nous attacherions dorénavant la moindre importance aux injures que les exagérés d’ici nous adressent si souvent quand 226 Évêques si éminents et représentant réellement la portion la plus éclairée du monde catholique, en ont été abreuvés à Rome par le parti dont nous combattons la queue ici !

Je sais que l’on peut dire que la plupart des Évêques de la minorité se sont depuis ralliés à la majorité et ont fait leur soumission au Pape. Je ne discuterai pas ce fait ici car cela m’entraînerait trop loin. Je me contenterai seulement d’observer que tout en respectant les motifs qui ont amené ces Évêques à désavouer leur opposition, je n’ai vu aucun d’entre eux indiquer en quoi il s’était trompé et où se trouvait le faux de ses raisonnements. Une adhésion tacite, ou formulée en termes vagues et généraux, ne détruit pas des faits péremptoires et des raisons irréfutables produites au soutien d’opinions que l’on abandonne tout à coup sans dire pourquoi. Quand on a démontré par une foule de citations exactes et par des raisonnements sans réplique que toute la tradition de l’Église était en opposition formelle avec le nouveau dogme, l’adhésion tacite ne change pas la tradition. Quand on a montré sans dénégation possible qu’en combattant le nouveau dogme on ne faisait que se rattacher honnêtement à l’ancienne foi de l’Église, l’adhésion tacite ne démontre pas que cette foi n’ait pas subi une modification profonde. Quand on a prouvé à l’évidence que ce qui était indiffèrent hier ne peut causer aujourd’hui la damnation des âmes, l’adhésion tacite ne montre pas pourquoi il faut croire qu’elles sont damnées le lendemain quand elles ne l’étaient pas la veille. Il est bien évident que l’on a cédé pour avoir la paix, mais personne ne peut croire sans explication sérieuse que l’on se soit rallié par conviction. Ce fait peut bien montrer la puissance du système, mais il démontre encore mieux que sous ce système les consciences ne sont pas libres. Or c’est une pénible chose que de voir tant d’hommes si éminents par leur savoir et leurs vertus préférer abdiquer leur conscience plutôt que de maintenir inflexiblement ce qu’ils ont démontré avec évidence être le vrai ! On ne les a certainement pas réfutés ; ils ne se sont pas réfutés eux-mêmes en

  1. Mgr Dupanloup a perdu un œil depuis plusieurs années.