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Enfin l’Archevêque et l’Évêque de Rimouski informent les curés de leurs Diocèses qu’il leur est absolument interdit d’appliquer les principes généraux à tel candidat, à tel parti, ou à telle classe d’électeurs ; de désigner les candidats en chaire et de se prononcer sur leurs mérites respectifs ; ou de conseiller ou ordonner aux fidèles de voter pour tel candidat plutôt que pour tel autre ; et V. G. vient affirmer au contraire que les pasteurs des électeurs sont chargés ex officio de leur enseigner ce devoir si grave et si sérieux dont le salut de beaucoup d’âmes dépend ! Mais V. G. se donne bien garde d’ajouter aucune des règles salutaires que ses deux collègues établissent dans leurs diocèses. Donc liberté entière, dans le Diocèse de Montréal, d’attaquer en chaire les partis, les candidats, ou les particuliers qui peuvent déplaire au Curé ou au Vicaire. Donc aussi ses collègues sont beaucoup plus indifférents au salut des âmes que V. G. Et à l’appui de son opinion, V. G. cite avec complaisance la circulaire de l’Archevêque de Naples à son Clergé.

Voilà donc la grande lutte ouverte entre pasteurs sur un terrain bien défini. Dans le Diocèse de Montréal les Curés devront faire, puisque c’est un devoir d’office, ce que l’Archevêque et l’Évêque de Rimouski déclarent leur être absolument interdit chez eux. On est donc obligé de faire dans le Diocèse de Montréal ce qui peut être une cause d’interdiction dans les deux autres diocèses. « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » Que vont donc faire les pauvres fidèles qui connaissent ces graves dissidences ? Suivre leur Évêque ? Mais ce n’est pas l’Évêque qui crée le péché d’un mot, c’est l’acte en lui-même qui est fautif ou non suivant qu’il s’accorde ou non avec les règles. Quelles sont donc les bonnes règles, celles de l’Évêque de Montréal ou celles des Évêques d’en bas ? C’est donc encore le cas, Mgr de dire avec le Pape St. Célestin, quand on voit les Évêques offrir des pâturages aussi discordants : que « bienheureux est le troupeau qui peut choisir entre les pâturages. »

Tout ceci, Mgr, est du plus haut comique pour ceux qui se sont vus si souvent l’objet des saintes diatribes des ennemis de la raison. Car enfin quand ceux qui prétendent être les seuls guides de la raison des autres sont pris aux cheveux, comme le montre l’arrogante réponse du Nouveau-Monde du 30 à la lettre bien autrement convenable de MM. Gazeau et Paquet, quelle autre alternative reste-t-il aux spectateurs de l’édifiante lutte, que de suivre leur propre raison pour se décider ? Et ne faut il pas en faire autant quand les Évêques diffèrent comme les Prêtres ? Au reste je trouve tout naturel que les ennemis de la raison se montrent si peu raisonnables. Il y a une logique des choses qui s’impose forcément.

Il faut donc toujours en revenir là, Mgr, malgré tant d’efforts de logique et tant de rhétorique perdue : Chacun doit se servir de sa propre raison pour trouver le vrai.

Mais dans tout cela, Mgr dans ces conflits si graves entre gens qui se vantent de leur unité, et qui pourtant déclarent si souvent mérite ici ce qui est péché là, il surgit une question de la plus haute importance théorique et pratique : celle de la suprématie absolue réclamée par l’autorité ecclésiastique sur le pouvoir civil.

Les peuples vont-ils accepter partout une direction aussi peu sûre d’elle-même que celle que l’on nous offre ici ? Les Évêques sont aux prises et se contredisent ; les prêtres se renvoient mutuellement des reproches d’ignorance et de mauvaise foi ; — ce qui porte bien des gens à tirer la conclusion que les deux parties semblent ne valoir guère mieux l’une que l’autre ; mais je constate toujours que l’arrogance des formes et souvent le mépris de la vérité sont avec les ultramontains — et voilà les guides que l’on nous offre ou plutôt qui s’imposent à nous de droit divin !

L’idée que le Clergé doit être le guide universel dans les matières temporelles peut-elle être bien facilement acceptée par ceux qui sont chaque jour témoins de la complète incompétence