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des membres du Clergé en général non seulement sur les questions de droit naturel ou politique, ou d’économie politique, mais aussi sur les questions les plus familières, les plus simples et les plus usuelles du droit civil ? Peut-on accepter la direction d’hommes qui ne font jamais aucune étude de ces choses et dont l’éducation particulière les rend impropres à les étudier plus tard ?

Quelle philosophie du droit naturel ou politique est possible avec les partisans aveugles du principe d’autorité en matière purement politique ou philosophique ? Même sur les questions qu’on appelle mixtes, les laïcs vont-ils regarder comme certainement vraies les décisions d’hommes qui, par le manque d’études légales, restent toujours étrangers à l’une des faces des questions qu’ils prétendent décider en si grande connaissance de cause ? Les théologiens ne sont-ils pas d’habitude les plus incompétents des hommes sur toutes les questions qui touchent à l’ordre économique ou légal ? Et comment seraient-ils compétents ? Ils ne connaissent pas ces questions ! La nature de leur éducation et jusqu’à leur genre de vie les leur rendent étrangères ! Il suffit de lire cette opinion du Dr de Angelis, qu’on nous présente comme une si haute autorité, pour voir qu’il n’a aucune notion sérieuse, j’oserais dire aucune teinture de droit constitutionnel ou fédératif ! Et de fait quelle notion approfondie de droit politique peut avoir un homme qui n’est pas sorti du cercle étroit d’idées absolutistes qui a fait de la Rome papale le type de l’immobilité politique et sociale, de la stagnation intellectuelle et industrielle, et de l’opposition instinctive et opiniâtre à toute espèce de progrès ?

On nous dit que les canonistes romains ne décident que le point de vue religieux des questions. Mais, Mgr, depuis que le Syllabus est venu montrer que toute question politique ou d’administration impliquait un principe religieux, il faut toujours en revenir là : subir la direction du prêtre sur un grand nombre de questions qui sont de fait purement politiques ou sociales, mais où il trouve toujours moyen de glisser une prétention religieuse.

Laissons de côté les interprétations plus ou moins libérales de quelques auteurs ecclésiastiques forcés de subir les nécessités de certaines circonstances incontrôlables, et prenons le droit canonique pur, tel qu’interprété par le Syllabus d’abord, puis par cette incroyable bulle Apostolicæ Sedis qui, sous l’adroit prétexte de diminuer les causes d’excommunication, ce qui la faisait regarder par la foule comme un grand acte de charité du Pape, s’en venait au contraire rééditer en plein dix-neuvième siècle la fameuse bulle In Cœna Domini cet arsenal de l’omnipotence papale, que le pape Clément XIV avait enfouie au plus profond des archives romaines parce que son application pratique était devenue aussi impossible que ses dispositions étaient absurdes comme système politique.

C’est cette bulle dont les Pères du Concile eurent communication à leur première réunion, qui les frappa si fort de stupeur et qui fit comprendre à tous les hommes modérés du Concile que la Curie avait tout préparé de manière à faire de ces dernières Grandes Assises de l’Église le point définitif de séparation entre elle et l’esprit humain. Et l’on s’obstine à ne pas voir que malgré toutes les condamnations et les anathèmes portés contre celui-ci, il ne s’en porte pas moins bien !

Avec deux documents comme ceux-là, Mgr, il n’y a pas de gouvernement constitutionnel ou républicain possible, sous la calotte des cieux, car les immunités ecclésiastiques qu’ils décrètent sont si nombreuses et si fondamentales que l’autorité civile n’a plus aucune espèce d’indépendance quelconque et se trouve à chaque pas entravée, arrêtée ou nullifiée par quelque prétendu droit divin d’origine singulièrement humaine. V. G. n’ignore pas sans doute combien souvent les hommes ont fait Dieu semblable à eux, ne pouvant se faire semblable à lui.

Le Pape possède donc, sous le régime consacré définitivement par le