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caractérisée[1] aux yeux de ceux qui savent ce que c’est qu’une procédure et savent ce que c’est que la justice ; mais V. G. qui s’obstine contre un jugement qui a décidé les questions au lieu de les écarter comme avec nous, et qui, par les retards qu’Elle apporte tant à la publication qu’à l’exécution du décret, semble disposée à résister même à ses supérieurs jusqu’à son dernier souffle, V. G. dis-je, nous parle toujours de soumission comme si elle en était un exemple ! Nous éprouvons donc un certain plaisir, Mgr, à constater que nous ne sommes pas les seuls orgueilleux en Canada. Je viens de lire, sans doute, la lettre de V. G. au Rév. P. Lopinto. Ce sont là de vraies paroles d’obéissance, mais on aimerait à les voir confirmer par des actes, et ce qui se passe à propos du décret montre que l’acte dément un peu trop la parole. Et d’ailleurs un prêtre ne vient-il pas de nous apprendre que c’était l’orgueil qui avait perdu les prêtres des séminaires de St. Sulpice et de Québec ? Nous voilà donc, Mgr, en très grande et très illustre compagnie. Et pourtant n’aurions-nous pas eu quelque droit, nous les prêchés, de demander une petite portion de l’indulgence que les prêcheurs s’accordent réciproquement depuis si longtemps ? Ceux qui doivent l’exemple aux autres sont pourtant au moins aussi coupables de s’adonner à l’orgueil que ceux qui doivent suivre leur exemple. Or il y a vingt ans, trente ans, nous informe-t-on, que l’orgueil perd tous ces prêtres, et voilà la première fois que nous en entendons parler ! Toujours des compliments et des éloges réciproques sans fin ! Jusqu’à ce qu’on se fût querellé, nous n’entendions jamais parler que de saints prêtres ! Comment donc la sainteté a t-elle pu subsister côte à côte avec l’orgueil pendant tant d’années ? Mais ce que nous appelons l’orgueil ecclésiastique existe donc ailleurs que dans notre imagination insoumise ! C’est un prêtre qui se charge de nous indiquer où il est en mettant les points sur les i !

Je me permettrai de rappeler à V. G. un fait très frappant aussi. Au Concile du Vatican, les Évêques qui formaient la glorieuse minorité qui a défendu le droit et la tradition, et qui, quoiqu’au nombre de 226 seulement, n’en représentaient pas moins près des deux tiers de la catholicité et sa portion la plus éclairée, les Évêques de la minorité, dis-je, ont cru devoir faire, tant sur les questions elles-mêmes que sur l’ordre de procédure adopté, des représentations énergiques et souvent réitérées auxquelles la très-sainte curie romaine n’a jamais fait la moindre attention. Les Évêques n’en faisaient pas moins de temps à autre leurs protestations motivées contre l’écrasante tactique inventée par la sainte curie pour étouffer le droit de la minorité et emporter d’assaut une doctrine condamnée par toute la tradition et que tant de catholiques instruits et sincères repoussent. Il y en a bien des millions aujourd’hui, Mgr, qui pensent comme St. Bernard : Quis nobis dabit videre Ecclesiam sicut erat diebus antiquis.[2]

Eh bien, je lis dans toutes ces protestations cette constante remarque que l’on savait bien à l’avance qu’aucune réponse ne serait faite, mais que l’on était tenu de parler « pour repousser les

  1. Si les ecclésiastiques étaient jugés par les tribunaux laïcs comme les tribunaux ecclésiastiques jugent les laïcs, et comme les membres catholiques de l’Institut ont été jugés à Rome, ce serait un tollé général dans le Clergé contre l’infamie de pareils procédés. Si un prêtre apprenait sa condamnation par un tribunal civil avant d’avoir été notifié qu’il fût accusé, c’est-à-dire se voyait condamné sur une dénonciation secrète, il dirait de toute nécessité que cette justice est infâme, ou plutôt que ce n’est pas une justice mais une conspiration, et il aurait raison. Mais quand ce sont les ecclésiastiques qui ont recours à la dénonciation secrète et à la procédure secrète, c’est être impie que de s’en plaindre ! Le fait est que la vraie notion de la justice semble ne pas exister chez le prêtre, faussée qu’elle est habituellement par l’idée de tout temps affirmée par les Papes que l’hérétique, ou l’adversaire du Clergé, n’a pas droit à la justice ordinaire entre les hommes. Le pape Innocent III disait qu’il ne fallait pas garder la foi envers les hérétiques ; et le pape Pie v qu’être miséricordieux envers un hérétique c’était faire une injustice à Dieu.
  2. Qui nous donnera de revoir l’Église comme elle était dans les temps anciens.