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d’ignorance, legs qui devient nécessairement caduc et non avenu quand cette ignorance s’est dissipée devant les progrès de l’intelligence générale ; c’est que l’ultramontanisme rend de plus en plus irrémédiable l’antagonisme profond qui existe depuis si longtemps entre la conscience de l’humanité et les détestables traditions politiques de la Papauté.

On nous prêche l’absolutisme sous toutes les formes et nous n’en voulons pas. On veut nous soumettre au contrôle d’hommes qui n’ont d’autres notions politiques que celles qu’ils ont pu acquérir sous le régime papal, le pire qui existât en Europe avec le régime russe ou le régime autrichien en Vénétie ; et il n’y a que des gens sans étude et sans expérience, ou des intéressés, qui puissent accepter pareil contrôle et pareil régime. On est confondu, en vérité, de la singulière incompétence des hommes qui espèrent encore persuader les sociétés de marcher les yeux fermés sous la conduite de pilotes que l’on voit en toute occasion ne rien entendre à la manœuvre.

On voudrait en un mot faire reculer les sociétés, et quoiqu’on fasse, à Rome ou ailleurs, elles ne reculeront pas puisque Dieu les a faites pour progresser toujours. L’humanité marche irrésistiblement vers Dieu, son but suprême, comme le fleuve coule vers l’océan dans la durée des siècles ! Et ni l’une ni l’autre ne sauraient suspendre leur marche ou remonter vers leur source. Mais il reste évident à quiconque veut voir qu’au point où en sont les choses, il faut de toute nécessité que les sociétés ou la Papauté reculent. Or celle-ci compte déjà trop de défaites dans son passé pour que les gens sérieux s’alarment beaucoup de son attitude actuelle. Son hostilité au progrès ne saurait durer toujours. Il se peut sans doute qu’elle prépare des catastrophes par sa persistance à vouloir empiéter sur un domaine qui n’est pas le sien, mais son sort sera finalement celui de toutes les institutions qui ont dévié de leur principe ; et si elle ne veut absolument pas emboîter le pas avec la civilisation et le progrès qu’elle flétrit aveuglément, elle se trouvera, un jour qui ne saurait être éloigné, seule et délaissée sur la grande route que Dieu a tracée de toute éternité à la marche incessante de l’humanité. Et le fait est qu’elle en est presque rendue là aujourd’hui ; mais elle persiste à ne pas le voir. On sont ses amis, les gouvernements absolutistes ? Tous disparus sous le souffle des peuples ! Comme une antique aïeule qui quelquefois voit peu à peu disparaître autour d’elle plusieurs générations qui lui doivent l’existence, la Papauté voit aussi tomber un à un les despotismes qui étaient ses seuls soutiens dans le monde politique. Elle semble ne leur survivre un peu que pour formuler obstinément quelques dernières protestations au nom du passé contre le progrès qui transforme et détruit les institutions qui s’en vont avec elle.

La vraie formule du progrès, c’est la grande parole prononcée il y a dix huit siècles : « Soyez parfaits comme votre père est parfait ! » Or comme l’homme ne saurait jamais égaler Dieu en perfection, ce précepte signifie qu’il doit se perfectionner toujours autant que sa nature le lui permet. Mais cette loi de perfectionnement regarde autant l’humanité que l’individu. Le progrès pour l’individu consiste dans le développement de ses facultés intellectuelles et morales ; et pour l’humanité il consiste dans le perfectionnement constant des institutions qui permettent à l’individu d’atteindre le but que la Providence lui a assigné. Voilà ce que la Papauté n’a jamais compris, et semble moins comprendre que jamais. Pour que l’homme ressemble à Dieu autant que sa nature imparfaite le lui permet, il faut qu’il progresse en tout ordre d’idées et en tout ordre de chose ; et ce sont précisément les institutions qui lui assurent ce progrès que la Papauté déteste et flétrit pour ne préconiser que celles qui l’ont toujours terni dans l’ornière de la routine et dans la peur de mieux faire que ceux qui l’ont précédé. Il n’y a pas une idée destinée à faire progresser l’humanité qui n’ait été flétrie à Rome du nom de