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générations à subir, par lâcheté morale, toutes les espèces de despotisme. Faites donc des citoyens sous un pareil système ! Basez donc les libertés publiques sur l’hypocrisie générale, sur la peur d’agir comme l’on pense, sur la crainte de manifester ses honnêtes convictions parce qu’elles déplaisent à un ordre dominateur pour qui la liberté de penser est un crime et la liberté de l’étude une certitude de damnation !

Je sais bien que le système n’a pas au fond d’autre objet que de miner partout les libertés publiques en l’infiltrant graduellement dans tous les rouages sociaux ; et dans cette tactique le Clergé est sans contredit dans son rôle. Ce que je comprends moins c’est que si peu de personnes s’aperçoivent qu’avec ce système on ne façonne que des mannequins, on ne prépare que des sujets et non des citoyens ; on force les hommes à rester enfants toute leur vie, et, comme au collège, à ne jamais se prononcer sur rien sans d’abord regarder le professeur. C’est-à-dire que le peuple ne s’appartient plus, ce qui rend le Clergé maître de tout.

Ah oui, le Clergé ultramontain, ennemi né de toute espèce de liberté, le Clergé ultramontain sait où il va en faisant de l’hypocrisie imposée la clé de son système. Ce sont ceux qui le suivent qui ne savent pas où on les mène ! Il ne base sa force que sur l’abaissement des caractères ; il n’agrée que les intelligences qu’il a façonnées dans son moule, et quand elles sont devenues bien nulles, bien esclaves, il triomphe et se complaît dans son œuvre. Il n’y a qu’un malheur à ce beau système, c’est que quand il a besoin de caractère énergiques pour le défendre dans les temps de péril, il ne les trouve plus parcequ’ils les a nullifiés en leur défendant de penser en dehors de l’étroite sphère où il les a murés. Voilà pourquoi il est toujours sûr d’être battu dans les temps de crise, car il a toujours affaibli à l’avance la force morale de ses défenseurs. Et il est bien heureux, au fond, que son système d’abaissement universel porte ainsi en lui-même son antidote. Mais le peuple ne s’aperçoit pas assez que ce système appliqué à la jeunesse nullifie du même coup bien des hommes qui pourraient servir, leur pays en défendant énergiquement ses droits. Mais on leur a fait perdre jusqu’à la notion distincte du droit, et ils sont heureux de rester instruments. Au reste quels droits existent aux yeux de l’ultramontain qui regarde toutes les institutions démocratiques comme des « os décharnés » et des « cadavres fétides ? » Cet hommes n’a évidemment d’autre principe que le perindè ac cadaver. Avec cela on fait des moines, jamais des hommes ! On organise un couvent, jamais une nation.

Le jeune homme qui me disait ce je viens de rapporter s’imaginait qu’après avoir subi pendant quelques années, par prétendue nécessité de faire son chemin dans le monde, un joug odieux pour lui, il pourrait plus tard le secouer au besoin ; mais bien profonde est son erreur, car celui qui s’habitue au joug y reste le plus souvent attaché toute sa vie, et l’on ne brise pas à volonté les chaînes que l’on s’est forgées soi-même. Quand ce jeune homme voudra reprendre son indépendance, il se trouvera enveloppé dans un tel réseau de relations cléricales ou politiques, d’influences de famille, d’habitudes acquises et de liens difficiles à briser, qu’après deux ou trois efforts il abandonnera la lutte et restera esclave d’un système dont il aura vu le danger mais dont il n’aura pas eu l’énergie de s’affranchir à temps. En dernière analyse il dira toute sa vie le contraire de ce qu’il pense. Le Clergé l’en louera, mais pourra-t-il s’estimer lui-même ?

Un autre fait très remarquable aussi est venu à ma connaissance et montre à nu la tactique du Clergé et l’effet qu’elle produit. Un rédacteur de journal, d’un talent incontestable, après avoir longtemps hésité, au sortir du Collège et avant d’entrer dans le journalisme, entre ses convictions et son intérêt, finit par mettre celles-là au panier et conclut en faveur du camp clérical. Il devint, sans en croire un