Page:Dessaulles - La Grande Guerre ecclésiastique. La Comédie infernale et les noces d’or. La suprématie ecclésiastique sur l’ordre temporel, 1873.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 53 —

le livre ultramontain, ou les brutales tirades de notre grand Veuillot, on les impudentes excentricités de notre fringant abbé Morel, et nous lui tiendrons sur les yeux l’impénétrable bandeau de l’esprit réactionnaire. Nous en ferons ainsi une pâte de statuaire facile à pétrir et à mouler. Il faut surtout bien lui persuader que, soumise au Clergé, elle marchera facilement dans la vie, pendant que studieuse et libérale, le succès lui sera rendu difficile, et peut être même impossible, hors des grands centres.

J’ai souvent été effrayé de voir l’hypocrisie si parfaitement accueillie, j’oserais dire si choyée au milieu de nous, et la sincérité si amèrement injuriée. Je gémis tous les jours de voir nombre de jeunes gens ne pas oser manifester leur pensée, ou parler en public contre toutes leurs convictions intimes, et cela parce qu’ils ont le tort de croire le Clergé assez puissant pour mettre à volonté leur avenir en péril. Et pourtant c’est bien sans contredit par l’indépendance de caractère et l’élévation des idées plutôt que par l’obséquiosité calculée que l’on peut obtenir non seulement une position honorable et respectée, mais surtout la bonne opinion de soi-même et la satisfaction d’un grand devoir accompli.

J’ai eu assez récemment dans mon propre bureau une conversation avec un jeune homme de talents remarquables qui était venu me demander mes derniers pamphlets. Je lui en manifestai quelque surprise, le croyant hostile à mes idées ; mais il m’assura qu’il les partageait au contraire entièrement. Après quelques observations échangées sur les désastreux résultats parmi nous de l’hostilité insensée du Clergé à tout ce qui ressemble de près ou de loin à l’indépendance de caractère et au droit à l’étude, je lui fis, un peu pour le sonder, la remarque qu’après tout je jouais peut-être à qui-perd-gagne en combattant comme je le faisais l’absolutisme clérical dans un pays où tant de personnes m’approuvaient de tout cœur mais n’osaient pas me soutenir en public, et que je ferais peut-être aussi bien d’abandonner une lutte trop forte pour un homme isolé et de m’appliquer exclusivement à l’étude… « Ah, grand Dieu, me dit-il, n’allez pas faire cela ! Luttez au contraire sans fléchir ! Il faut bien que quelqu’un leur dise un peu leur fait, leur rappelle qu’il y a une opinion, et venge les droits de la pensée humaine ! Que deviendrions-nous si nous n’avions pas quelques hommes énergiques pour combattre l’esprit de domination universelle de ces gens là ? » — Mais, lui observai-je très sérieusement, comment se fait-il que vous me manifestiez ces sentiments ? Vous êtes un de ceux qui m’ont vertement attaqué parceque je combats les tendances absolutistes que je vois se produire de plus en plus au milieu de nous depuis que les Jésuites sont venus s’y établir. — « Ah, que voulez-vous, répondit-il un peu désorienté, tout le monde n’a pas votre indépendance d’esprit, et puis ceux même qui l’ont parmi les jeunes gens n’ont pas encore l’étude suffisante pour faire la lutte et surtout ne sont pas dans une position sociale assez affermie pour combattre ouvertement ce terrible pouvoir qui broie sans pitié tout ce qui n’est pas assez fort pour lui résister. Il nous faut bien, nous commençants dans la carrière de la vie, louvoyer un peu jusqu’à ce que nous ayions acquis une position un peu bien assise ; mais soyez tranquille, nous ne serons pas toujours jeunes ! Mais quant à vous, je vous en prie au nom de la jeunesse intelligente, continuez sans fléchir la grande lutte que vous faites, et soyez sûr qu’il n’y a que les imbéciles, parmi les jeunes gens, dont vous n’ayiez pas les sympathies. »

Voilà Mgr la société que le Clergé nous fait. Et sans admettre l’exactitude de la dernière observation que me faisait ce jeune homme, il n’en est pas moins vrai que voilà de singulières notions de sincérité à inculquer à la jeunesse. Mais tel est le système. « Si vous n’êtes pas ce qui nous convient, paraissez l’être, sinon l’ostracisme. Nous ameuterons vos familles contre vous et les femmes ne vous laisseront pas un moment de repos. » Eh bien, j’appelle cela, moi, Mgr, former les