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Page:Dessaulles - Lettres de Fadette, première série, 1914.djvu/140

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LETTRES DE FADETTE


LIV

Manquer sa vie


Si l’idéal moral me semble être de « remplir sa vie », la plus douloureuse des impuissances n’est-elle pas de « manquer sa vie ? »

Manquer sa vie, c’est-à-dire laisser blanches des pages où l’on aurait pu écrire des poèmes de beauté, laisser froid un cœur qui aurait pu aimer, laisser vide une vie qui aurait pu être remplie de générosité et de dévouement. Et pourtant la pauvre âme qui a peut-être passé près du Bonheur sans le voir était, comme d’autres, capable de bien ; elle avait en elle des ressources qui restent inemployées et qui eussent pu lui donner une belle vie sous le soleil du Bon Dieu.

Que lui est-il arrivé ? Elle erre au hasard, dépaysée dans sa propre existence, ne trouvant nulle part la joie et la paix qui ne manquent pas à ceux qui sont dans leur voie, même si cette voie a ses calvaires.

Elle n’a pas su se connaître elle-même, ni comprendre le sens profondément sérieux de la Vie, et elle s’est jetée dans l’irréparable ; ou bien, elle flotte indécise entre des résolutions qu’elle ne prend jamais, malheureuse, inquiète, imputant son mal à tous ceux qui l’entourent, se croyant la victime, quand cependant, elle est bien l’auteur de sa vie médiocre.

Et celle qui a tenu le Bonheur dans ses mains, et qui avec l’insouciance de l’enfant brisant un jouet, l’a détruit par sa faute ?