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Page:Dessaulles - Lettres de Fadette, quatrième série, 1918.djvu/44

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vague qu’on laissait indolemment flotter autour de soi.

L’heure que j’évoque ce soir m’apparaît comme l’heure de ces semaines passées dans les montagnes où la vie était si douce.

Je revois tout : la voix des choses qui ne dorment pas la nuit était très distincte, ce soir-là. Des aunes du rivage, le cri triste des grenouilles, alternant avec le dernier appel des oiseaux, perçait le silence qui se reformait plus profond, et où je percevais le bruissement des insectes, les frôlements d’ailes des papillons de nuit, toute l’activité de la vie que rien n’interrompt. Et peu à peu, j’étais envahie par l’impression d’être perdue dans l’immensité de cette nuit peuplée de mondes innombrables, dont quelques-uns paraissaient se désagréger, filaient lumineux et rapides et s’éteignaient dans l’espace.

Derrière la montagne, la lune apparut soudain, rouge, ardente, énorme et tragique, une lune qui avait vu des choses terribles : la trahison de Judas, l’agonie du Christ, tous les crimes de l’humanité. Je fermai les yeux pour mieux créer ce rêve de la lune qui se souvient… et pendant ce temps, elle s’éleva blanche, claire, et si loin de nous, pauvres de la terre !

Dans le sillon qu’elle projetait sur le lac, l’eau grésillait comme du métal en fusion, et de chaque côté de ce pont lumineux, les étoiles resplendissaient dans l’eau immobile et sombre.