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Page:Dessaulles - Lettres de Fadette, troisième série, 1916.djvu/58

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pleurerais de pitié en constatant ce qu’elles sont devenues dans la vie cloîtrée et comprimée à laquelle elles ont dû finir par se soumettre.

L’aînée passe à peine la trentaine : c’est une vieille femme ! Tout le long du jour, quand elle ne souffle pas sur d’invisibles poussières, elle se tâte le pouls, la tête et l’estomac, concentrant l’intérêt de sa vie à se découvrir un mal nouveau et un remède approprié.

La seconde, d’une nature ardente, active et très intelligente, a essayé d’arracher un peu d’indépendance à l’inintelligent despotisme de sa mère, mais elle s’est usé les ailes à frapper contre les barreaux de sa cage… la main de fer a écarté les amies, réglé les sorties, rempli les heures d’occupations manuelles, honni les livres, et peu à peu les enthousiasmes juvéniles se sont éteints, et les élans charitables se sont arrêtés. On a jeté tant d’eau froide sur cette âme ardente, qu’elle dort maintenant sous les cendres accumulées de ses désappointements, de ses rêves et de son morne ennui.

J’ai passé trois jours dans cette maison : moralement et physiquement on y étouffe. Ma présence donna cependant un peu d’air à la seule vivante de ce sarcophage meublé. Un soir elle me fit le récit simple et navrant de sa vie manquée. Les années de pension furent les seules années heureuses : elle ne connut ni les plaisirs, ni l’insouciance heu-