Page:Dessaulles - Six lectures sur l'annexion du Canada aux États-Unis, 1851.djvu/66

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toujours censé exempt des faiblesses humaines ! Il légitime le vice et ennoblit le crime. Il est censé aussi ne pas se tromper, et il peut dire, comme Louis xiv, en faisant les lois : « J’ordonne, de ma science certaine » car cette formule, Messieurs, n’est réservée au Pape seul que depuis la révolution de 89. Les individus tiennent tout du Roi et ils lui doivent de la reconnaissance par cela seul qu’il leur laisse l’honneur ou la vie ou la fortune. Il peut dire : « l’état, c’est moi » et il a raison, et il trouve les facultés de théologie toujours prêtes à décider qu’il peut disposer, comme bon lui semble, des biens de ses sujets parcequ’ils lui appartiennent en propre.

À un homme ainsi doté, je conçois que l’on doive amour, respect, attachement, vénération, fidélité dévouement personnel : et nul doute que le Turc et le Chinois, pour qui toutes ces inqualifiables prétentions du despotisme sont des dogmes, ne soient, dans la pratique, gens parfaitement logiques.

Mais nous qui, relativement aux Turcs et aux Chinois, sommes encore très heureux d’être des sujets britanniques, envers qui sommes-nous tenus d’observer les devoirs qui découlent de l’idée de loyauté ? Est-ce envers la reine d’Angleterre ? Mais la reine d’Angleterre n’est souveraine que de nom : en fait, c’est dans la nation que réside la souveraineté ! La reine n’est pas, en Angleterre, ce qu’est le Sultan en Turquie ! Son pouvoir est comparativement très limité ! Dans la pratique ordinaire, elle n’est à proprement parler qu’un simple automate qui, loin d’avoir une volonté propre, agit en tout d’après les impulsions de son conseil ! C’est le ministère qui gouverne, et non la reine.

En Angleterre où, en fait d’organisation politique, tout est contradiction, fiction, anomalie, il faut toujours distinguer entre la théorie et la pratique, car celle-ci détruit invariablement celle-là. Ainsi, en théorie, c’est la couronne qui est le souverain pouvoir ; en pratique, ce n’est plus qu’un pouvoir subordonné et qui ne peut rien contre l’opinion publique. En théorie, la couronne a le droit de choisir ses ministres comme elle l’entend ; en pratique elle ne peut les garder que si les chambres ou le peuple le veulent bien ; si elle s’obstine, le peuple se lève et la brise.