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l’erreur judiciaire ? Pourquoi est-il dans votre prétoire, si ce n’est pour vous rappeler la fragilité des sentences humaines ? Pourquoi Dieu a-t-il voulu que le Juste par excellence fût un Condamné ? Notre Seigneur Jésus a été un prévenu, comme ceux que vous jugez tous les jours ; il a été poursuivi et arrêté par des gendarmes comme moi, il a été jugé et puni par des juges comme vous. Si je vous l’amenais demain, vous lui reprocheriez sa vie vagabonde, ses fréquentations avec des hommes de basse condition et des femmes de mauvaise vie, ses discours séditieux, ses attaques méchantes contre la force obligatoire des lois, sa volonté de changer la forme du gouvernement. Vous ne le reconnaîtriez point, car vous ne l’avez point reconnu dans tous ceux que je vous ai amenés. Il y était cependant, car il est dans chaque homme…

Il y eut un silence. Les deux promeneurs passèrent devant la cathédrale. Un dernier rayon du soleil déclinant incendiait les vitraux d’une chapelle ; des rouges sanglants rutilaient, des ors étincelaient. Frédéric Marcinel reprit :

— Et si ce n’était point assez de l’Écriture et de la Passion, songez aux vies des saints. Tenez, celui dont cette verrière ancienne célèbre les vertus dans la gloire du couchant, encore un que condamnèrent les juges de son temps ! Et d’autres, d’autres, sans fin, tous des repris de la justice de leur temps ! Mais la Parole, depuis que je l’ai comprise, c’est partout que je la vois inscrite, et j’entends même les pierres du saint lieu qui me disent : Ne jugez point !

— Marcinel, ceci est de la démence. Jamais l’Église n’enseigna de pareilles erreurs…