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— Vous me l’avez déjà dit, Monsieur le Président. Laissez-moi vous répéter respectueusement que je ne suis point de votre avis. La religion m’a appris, à moi, que la valeur d’un acte était avant tout dans son intention. Il n’y a point de morale absolue ; ce qui est le devoir pour un peut être une défaillance pour un autre. Chacun ne peut agir que selon sa compréhension du bien et du mal, et c’est d’après cette compréhension qu’il doit être jugé. Or, c’est là un état intérieur sur lequel les autres ne peuvent être renseignés. Pour apprécier avec équité l’action d’un homme, il faudrait se replacer exactement dans les mêmes conditions que lui et être éclairé de la même lumière intellectuelle ou morale qui l’éclairait. C’est évidemment impossible, et cela condamne nos folles prétentions à juger. Il n’y a qu’un juge, Monsieur le Président, celui qui voit avec miséricorde au fond des cœurs et des consciences, c’est-à-dire le Bon Dieu. Dieu seul peut juger, Dieu seul peut punir, et quand nous essayons de nous attribuer ces prérogatives suprêmes, notre orgueil puéril nous fait trébucher dans les pièges du Démon !

— Alors j’ai le diable pour greffier, d’après toi ?

— Ça peut vous paraître très drôle ce que je vous dis. Aussi je ne vous demande pas de me croire, mais de vérifier par vous-même. Oui, je pense que l’Esprit du mal s’amuse fort de tout le mal que, dans les meilleures intentions, vous faites !

— Soyons sérieux, Frédéric. Tu voudrais supprimer les tribunaux ? Mais ils sont le ciment qui tient ensemble tout l’édifice social ; sans eux, c’est un écroulement total, le mépris de toute autorité, l’anarchie.