Page:Destutt de Tracy - Élémens d’idéologie, troisième partie.djvu/224

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si curieux à observer, notre mémoire et notre jugement sont presque sans activité, et que nous ne pouvons pas dire quand ils commencent à prendre quelqu’énergie. Ce n’est pas tout encore : comme si tant de voiles ne suffisaient pas pour nous cacher à nos propres yeux, la marche de notre esprit est telle qu’il commence toujours par les masses, que dans une première impression il a toujours vu tout un sujet, qu’il ne peut plus qu’en démêler les détails, et reconnaître explicitement ce qu’il avait d’abord senti implicitement. à proprement parler, dès que nous avons éprouvé le phénomène du sentiment, dès qu’il a ému notre être et commencé notre existence, rien de nouveau ne peut plus se présenter à nous. Nous avons tout vu et tout connu. Ce trouble vague renferme tout pour nous. Nous ne pouvons plus qu’en éprouver les circonstances, les modifications, les variétés, les conséquences ; et tout cela se fait tumultuairement, fortuitement, de mille manières différentes à-la-fois, et surtout imperceptiblement ; ensorte que nous devenons autres de momens en momens sans en avoir la conscience distincte, et sans pouvoir à plus forte raison en avoir le souvenir. Nous nous éclairons comme nous croissons et dépérissons,