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Le Filleul de la Mort

— Voilà qui me servira de leçon, se dit le faucheur. Je suis suffisamment édifié sur les plaintes des hommes & leur dégoût de la vie.

Et il se remit en route.

Comme il passait par un village, il aperçut, sur le seuil d’une chaumine, une paysanne qui tenait dans ses bras un enfant si malingre, si chétif & si laid, qu’il faisait peine à voir.

Ses jambes n’étaient pas plus grosses que des bras, & ses bras que des doigts. Il ne pouvait se tenir debout, & sa respiration semblait une suite de gémissements.

« Pauvre petit sec héron, disait la mère, que deviendras-tu, quand je ne serai plus là ? Ah ! le bon Dieu ferait bien de te rappeler à lui ! »

Le faucheur l’entendit, & cette fois crut sagement agir en délivrant d’un seul coup la mère & l’enfant. Mais quand la mère vit son fils mort, sa douleur fut bien autrement vive.

La malheureuse femme en devint folle, car elle aimait cet enfant dix fois plus qu’elle n’en aurait aimé un autre. Elle l’aimait pour toutes les peines qu’il lui avait coûtées & d’autant plus qu’il était plus faible & plus laid !