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Martin & Martine

Les mynheers de Cambrai contemplaient les deux victimes en fumant leur pipe &, bien qu’épaissis par la bière, ils se sentaient émus de pitié & ne pouvaient s’empêcher de les plaindre. Ils tentaient même quelquefois d’implorer la grâce des coupables, mais M. le bourgmeſtre répondait invariablement par ces mots, que lui avait soufflés son greffier :

« Ma fille eſt libre. Qu’elle consente à revenir chez son père & sur-le-champ je brise ses chaînes ! »

Bientôt on s’habitua tellement à ce spectacle qu’on cessa d’y prendre garde, & le plus clair résultat de la jalousie du grand Guillaume fut qu’à dix heures précises tous les cabarets se vidaient, comme par enchantement, au son du couvre-feu.

Seule, la mère de Martine ne pouvait s’accoutumer au supplice de sa fille, &, tout ogre qu’il était, son mari aurait fini par céder à ses pleurs, sans la déteſtable influence qu’il subissait. Mais un jour vient où tout se paye, & le grand Guillaume ne devait point le porter en paradis.

Il prit, un beau matin, fantaisie à Cambrinus de rendre visite à sa bonne ville de Cambrai. En passant sur la place, il entendit sonner la cloche & leva la tête. Il fut très étonné d’apercevoir sa filleule.

« Qu’eſt-ce que tu fais donc là ? lui dit-il.