Page:Deulin - Les Contes de ma mère l'Oye avant Perrault.djvu/96

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


On l’essaye en vain à beaucoup de « pucelles qui en biens et en vertus n’étoient pas inférieures au prince. » Un jour, en dînant avec lui, sa fille Doralice voit l’anneau sur la table et le met à son doigt. Comme il lui va parfaitement, Thibaud conçoit « l’étrange, et diabolique détermination de l’épouser. » La jeune fille désolée confie sa peine à sa nourrice.

« Il y avoit en la chambre de sa feue mère, un beau garde-robe fort magnifiquement ouvré, où la fille tenoit ses riches accoutrements et bagues, et n’y avoit personne qui le pût ouvrir sinon cette sage nourrice, laquelle ôta secrètement toutes les robes qui étoient dedans, et mit dans ce garde-robe d’une certaine liqueur, qui avoit une telle vertu que quiconque en prenoit une cuillerée il vivoit longtemps sans prendre autre réfection, et ayant appelé cette fille, l’enferma là dedans, lui conseillant d’y demeurer jusqu’à ce que Dieu lui envoyât meilleure fortune, et que le père fut hors de cette bestiale délibération[1]. »

  1. 1. Cette garde-robe pourrait bien avoir suggéré à Calderon l’idée de l’armoire dont se sert l’héroïne de son Esprit follet pour intriguer l’homme qu’elle veut épouser. Elle a pu provenir elle-même de la grande harpe où, dans les Nibelungen, Heimi enferme la prétendue fille de Sigurd et de Brynhild, en la nourrissant d’un oignon « si nutritif qu’il suffisait d’en manger pour n’avoir pas besoin d’autres aliments. » Ajoutons que, dans la suite de l’histoire, les ravisseurs de l’enfant lui donnent le nom de Krâka (corneille), lui rasent la tête, l’enduisent de poix, lui rabattent sa coiffure, la couvrent de haillons et l’occupent aux plus vils travaux afin de dissimuler sa beauté.