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Montréal, 27 octobre 1906. Album Universel (Monde Illustré) No 1174

gi vous voyez une lumière tournée à bout

de bras, Duval, envoyez-moi sans retard deux hommes armés. _.|e les tiendrai prêts, en cas d’avarie Mais espérons que vous n’en aurez pas besoin. —Qui sait!... murmura le capitaine, disparaissant dans la deini-obscurité qui planait sur là haie de Kécarpoui. Il est bien vrai, le proverbe italien: "chi va piano, va sano”, — qui va doucement, va bien! Arthur Labarou devait en fournir, en cette circonstance, une probante illustration. Kn effet, à mi-chemin de la rive, son aviron se rompit par le milieu, brisé sous l’effort mal calculé de ses bras. Que faire? Sauter à l’eau et Rainer terre en nageant? Mais il aurait peine à se mouvoir, tout vêtu et botté qu’il était ! Ou bien se dévêtir et enlever ses bottes? Cela prendrait plus de temps que de pagayer avec le tronçon d’aviron resté dans ses mains! Il s’arrêta d’instinct à ce dernier parti, tout en bouillant d’impatience. Enfin il aborda en quelques minutes et prit sa course vers le châlet. Fatalité!... Suzanne avait disparu. La maison était en rumeur, et la mère Noël se lamentait à tous les saints du Paradis. •Que: t-il arrivé, mon Dieu? demanda avec anxiété le capitaine. Eli! le sais-je, moi? répondit la mère de Suzanne. J’étais à l’intérieur.. . Je sommeillais un peu dans la chaise, je crois, quand tout à coup j’ai entendu un Rrand cri au dehors. . . Je suis accourue... Plus personne! J’ai fait le tour du châlet, appelant Suzanne... mais aucune voix ne 111’a répondu. Elle n’était donc pas avec vous? Hélas! chère mère, je venais de la quitter pour aller à mon yacht et, moi aussi, j’ai entendu le cri de dé,.resse de la pau re enfant Aussitôt, j’accours, je cherche, j’appelle!... Néant ! Et le capitaine, 1111 instant affaissé, courba la tête. Pénétrant dans l’intérieur du châlet, il se munit d’un fanal qu’il alluma, et revint sous la véranda, en face de la baie. Alors, tournant à plusieurs reprises ce signal convenu tout à l’heure, il appela ses gens à la rescousse. Puis, armé d’un revolver, il explora rapidement les alentours, espérant, — contre toute espérance, — trouver sa femme évanouie quelque part, sur la rive. Mais les recherches n’aboutirent qu’à la découverte, bien importante, du reste, du fichu qu’elle avait au cou, ce soir-là. L’endroit où cette trouvaille fut faite indiquait le chemin pris par les ravisseurs de la jeune femme, — si toutefois il y avait eu rapt. L’article en question ayant été ramassé à un arpent du chalet, côté oriental, il devenait évident que les ravisseurs étaient venus par là, ou du moins qu’ils avaient pris cette direction pour s’en retourner avec leur proie. , Aussitôt, dans la pensée en fermentation du capitaine, tout un plan de campagne fut organisé. Pendant qu’une escouade explorait les bois de la pointe orientale de la bâie, jusqu’à 1’“Archipel des Sauvages”, — comme on appelait alors le groupe d’iles éparpillées entre les rivières St Augustin et Shécatica, — le “Vengeur”, lui, longerait la rive du fleuve, pour observer la côte et la mer. Arthur Labarou, désormais fixé, revint au chalet. L époux alarmé avait fait place au marin habitué de commander. Il alla droit à la chaloupe du bord, — que le commandant du “Vengeur”, appelé par le signal convenu, avait conduite au rivage,—et dit a son subordonné, sans plus de commentaires : —Duval, ma femme est disparue. On l’a enlevée. Je soupçonne les sauvages de “Shécatica. Donnez-moi deux hommes et retournez à h°rd... Vous appareillerez dans une h-ure, au baissant. Ne laissez pas une anse inexplorée, jusqu à l’Archipel des Sauvages. , A vos ordres, capitaine! répondit l’officier ■nterpellé, se disposant à reprendre le large. “-Encore un mot... Ne vous éloignez pas du rivage et n’avancez qu’à petite voilure, afin que nous puissions communiquer ensemble. —Nous irons au bas ris et seulement sur la misaine. —L’est cela. l)tt reste, si j’ai besoin de vous, j allumerai deux feux l’un près de l’autre, sur quelque point du rivage bien en vu. .—Entendu. De notre côté, si vous lo voulez bien, je hisserai deux pavillons au mât de misaine, dans le cas où je ferais quelque découverte sérieuse. La nuit, j’aurai deux fanaux blancs. —Très bien, mes amis. Rendez-vous à l’ile du “Large.” La chaloupe regagna aussitôt le bord, abandonnant José Poquin et un autre matelot, nommé Beaujoly, au capitaine Labarou. Une heure plus tard, le “Vengeur”, sous petite voilure, se dirigeait vers l’ouverture de la baie et prenait chasse. De son côté, le capitaine était déjà parti, avec José Poquin et Beaujoly, abandonnant le coin du Chalet à la garde d’un serviteur terreneuvicti, sur lequel il savait pouvoir compter. Il aurait bien voulu s’associer le jeune sauvage W apvvi, — qui habitait, tantôt l’un tantôt ■ ■: lire côté de la baie. . . Mais, suivant son habitude, le petit Abénaki battait, sans doute, les bois, car on ne l’avait pas vu depuis le matin. Arthur Labarou dut donc se mettre en route seulement avec José Poquin et Reaujoly,—tous trois munis de falots et armés de pied en cap. Prenant le sentier qui coupe le bras oriental de !a baie en ligne directe, ils s’enfoncèrent rapidement sous bois, ne s’éclairant que juste ce qu il fallait pour s’orienter au sein des ténèbres de la saulaie. CHAPITRE X LA CHASSE A... LA FEMME Ce n’était pas mince besogne qu’entreprenaient là nos trois marins. Suivre à la piste un ennemi connu, en plein jour et dans un pays peu accidenté, est déjà suffisamment difficile et 11e souffre aucune faute de tactique. Mais, enfin, 011 a les yeux ouverts pour embrasser à la fois une assez grande étendue de terrain ; les arbres sont là pour y grimper et les hauteurs se prêtent à l’escalade, sans qu’on risque de se rompre le cou avant d’atteindre leur sommet, d’où l’on pourra jeter un coup-d’oeil sur les environs. Et puis la forêt est pleine des rumeurs variées de la vie animale s’agitant partout, dans l’air et sur le sol à la feuillée sonore... Mais, la nuit, tout est paix, silence et mystère. Seules, les grandes voix de la nature inanimée, — chûtes d’eau sur les rochers en gradins ou dans des fosses ceintes d’échos, frizelées du vent dans le feuillage, grondements du tonnerre à travers les rayures d’or de l’électricité foudroyant les nuages, — seuls, ces orchestres grandioses font retentir les échos multiples de la montagne ou de la vallée, muettes toutes deux, solennellement attentives. Un appel à voix ordinaire s’entend à un mille de distance. La moindre parole, — du moins quand l’atmosphère est en paix, — vous a des résonnances inattendues. Le mot d’ordre est donc : Silence et célérité ! quand on patrouille dans ces solitudes pleines d’embûches. A plus forte raison, pendant une nuit d’été sereine comme celle où nos trois marins quittèrent le Chalet pour suivre la trace dts ravisseurs, fallait-il redoubler de précautions. Ah ! si Wapwi eût été là !... C’est lui qui en aurait fait un guide merveilleux, avec son flair de renard et ses yeux de lynx. ’ Mais décidément le petit Abénaki devait avoir fait quelque mauvaise rencontre, car, de la journée qui finirait bientôt, — il était près de minuit, — on 11’en avait eu ni vent ni nouvelle. Ainsi pensait Arthur Labarou, tout en guidant son escouade à travers les fourrés et les sapinages où ils s’étaient engagés. Les trois hommes marchaient à peu près de front, laissant pourtant entre eux une certaine distance, afin, d’explorer à la fois plus de terrain. Tout naturellement, le guide de l’expédition était le capitaine. 11 suivait rigoureusement le sentier frayé, tandis que ses matelots le flanquaient des deux côtés, à la distance d’un encablure, pour parler leur langage. Chacun marchait, le revolver au poing, car 011 11e savait encore à qui on allait avoir affaire, ni le nombre des ennemis. ( )n traversa de la sorte, sans la moindre alerte, une partie de la forêt qui revêt la pointe orientale d’un épais manteau de verdure. Bientôt la petite troupe allait émerger sur l’autre plage, — celle regardant l’est, — lorsque José Poquin s’arrêta net. 1! avait cru entendre une plainte vague, à quelque distance, sur sa gauche, dans un épais fourré. Appelant d’un mot son capitaine, il se dirigea vivement sur l’endroit d’où était parti ce bruit suspect. Un spectacle bien étonnant lui arracha aussitôt son exclamation favorite : —E11 v’ia-t-une autre, parole de mousse! —Quoi donc. José? s’enquit Arthur, allant à son matelot. —Voyez, capitaine! se contenta de répondre l’interpellé, montrant de son fanal un tronc moussu couché à travers la feuillée et auquel le petit Wapwi était lié par de fortes courroies de peau d’anguille. L’enfant, quoiqu’ayant les yeux ouverts, paraissait exténué et prêt à perdre connaissance. —Wapwi! s’écria le capitaine, tout en coupant avec dextérité les liens multiples qui entouraient l’enfant. —Vite ! capitaine, supplia Wapwi, sans songer à lui-même... Petite mère volée par la Grande-Ourse ! —Une sauvagesse de Shécatica? —Justement... Méchante, méchante, l’Ourse! ... Elle a bien battu le ptit Wapwi. —Cette nuit même?... Au fait, depuis quand es-tu ici. et comment t’es-tu laissé surprendre? —Pardon, petit père. .. Wapwi bien fatigué depuis trois nuits qu’il court les bois... Ses oreilles n’ont pas entendu le pas léger du Micmac en marche et il est tombé dans un piège, comme un renard qui a trop mangé de poules. —A quelle heure cet “accident” t’est-il arrivé? —A l’heure où les wawarrons commencent à se parler. —Vers neuf heures, à peu près. —Petite mère était encore debout, bien sûr. —Sans doute. Je causais même avec elle sous la véranda qui fait face à la baie. —Ah ! si vous l’aviez cachée dans votre grand bateau ! —Hélas! pouvais-je supposer?... murmura le capitaine avec une amertume farouche. Puis, secouant d’un geste de tête cet affaissement passager: —Et tu les as vus revenir? —Oui, une couple d’heures plus tard, par le même chemin... Ils portaient un grand paquet de linge, sur deux perches, et couraient de toutes leurs forces, excités par la Grande-Ourse, qui criait à toute minute: “Vite! plus vitel... Vous boirez de l’eau de feu pour vous reposer! ”. .. Et ça courait... ça courait... Ils sont passés près d’ici, sans même faire attention à Wapwi. —Et comment as-tu pu voir la direction qu’ils ont prise, une fois disparus? Wapwi indiqua le sud-est. —A une portée de fusil d’ici, c’est l’eau.... dit-il. Ils ont un grand canot et des avirons, et six hommes pour faire courir le canot vers la goélette mouillée au large. Arthur Labarou en savait assez. —A la mer, matelots! commanda-t-il: c’est là que nous rejoindrons les ravisseurs. Les quatre hommes se précipitèrent aussitôt dans la direction indiquée et débouchèrent en un clin-d’oeil sur la grève en hémicycle que battait alors la mer baissante. Rien en vue ! Les oiseaux de nuit s’étaient envolés. Seulement, on pouvait aisément suivre la trace de leurs pas, jusqu’à l’eau, et distinguer