Page:Dick - Les pirates du golfe St-Laurent, 1906.djvu/123

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l’empreinte laissée sur le sable par l’avant de leur embarcation. —Un canot! s’écria Wapwi, après s’être baissé pour mieux voir. —En effet, confirma José Poquin : il n’y a pas trace de quille. —Sauvages !... La Grande-Ourse !... conclut de suite le petit Abénaki. A Shécatica, maître... Courons vite. —Appelons la goélette: nous serons plus t t rendus... décida le capitaine. On jeta un coup-d’oeil vers le sud-ouest, et ce ne fut pas sans une vive satisfaction qu’on aperçut le “Vengeur”, sous petite voilure, qui s’avançait lentement vers la côte. Deux feux furent allumés en un tour de main, et l’on attendit avec une impatience té brile l’arrivée de la chaloupe du bord, qui se détacha du vaisseau, mis à la cape. Vingt minutes plus tard, la petite troupe était sur le pont du “Vengeur’, dont la voilure fut aussitôt orientée pour qu’on put gagner l’Archipel des Sauvages avant le jour. Il pouvait être deux heures du matin, et me jolie brise de terre, qui ridait le fleuve, promettait aux marins un voyage exceptionnellement prompt. Malheureusement, l’atmosphère s’était rei brunie et le peu de clarté lunaire rayonnant dans l’espace se trouvait encore mitigée par l’ouate serrée qui matelassait le firmament. On ne pouvait donc embrasser de l’oeil, même à l’aide des lunettes du bord, une bien grande circonférence, soit du côté de terre, soit vers le large. Et c’était fâcheux ; car si la goélette des forbans qui avaient fait le coup d’enlever Suzanne, au lieu de regagner l’Archipel des Sauvage-, se dirigeait, au contraire, vers quelque autre endroit du Golfe, on perdrait un temps précie.tv à explorer le repaire de la “Grande-Ourse”, désignée par Wapwi comme ayant participé i l’enlèvement. Mais on ne pouvait tout de même quitter ces parages, sans faire une descente dans l’Archipel. Après s’être renseigné là-bas. on fouillerait tous les atterrages du golfe. Et l’on finirait bien par trouver ce qu’étaient devenus, soit le “Marsouin", soit la Grande-Ourse avec sa prisonnière. Le cap fut donc maintenu sur l’Archipel. Vers quatre heures du matin, comme le soleil émergeait de l’horizon, on aperçut l’île du Large, que l’on dépassa par tribord, pour atteindre bientôt l’ile du “Sable”, où l’on jeta l’ancre. Quelques enfants, encore tout ensommeillés, se pressaient au bord de la mer, houspillés par des sauvagesses en costumes peu confortables, qui cherchaient à les entraîner sous le couvert des arbres. Les hommes, s’il y en avait au camp, ne semblaient pas pressés de se montrer. En somme, le campement paraissait être sous le coup de quelque émotion récente et extraordinaire. —Ces gens-là n’ont pas la conscience nette, fit remarquer le lieutenant. —La chose est évidente, Duval... lui répondit le capitaine Labarou... Voyez!... Pas un homme: seulement des enfants et de vieilles “squaws” ! —Les hommes partis pour la côte... et les canots aussi, fit observer avec une naïveté des plus judicieuses maître Wapwi, qui connaissait bien les habitudes de ses compatriotes. —L’enfant a raison, dit Arthur. Tout de même, allons voir. Amenez le canot. Beaujoly et Poquin m’accompagneront. —Moi aussi, petit père... Tu veux bien?... Et Wapwi, les yeux brillants, regardait anxieusement son maître. —Comme il te plaira, mon fils... répondit Arthur. Mais ne crains-tu pas de rencontrer là des figures qui te rappelleront de mauvais souvenirs? —C’est justement pour ça que je veux vous suivre... Wapwi est devenu un homme et il n’a plus peur des grandes femmes méchantes. —A la bonne heure, petit. . Au reste, nous serons là en armes et personne ne touchera à un cheveu de ta tête. —Oh! les toucher, je ne dis pas... mais les Album Universel (Monde Illustré) No 1174 enlever, hum!... J’ai de quoi les défendre! Et l’enfant brandit son fusil. Arthur Labarou, souriant, accorda la permission demandée. Le grand canot fut amené à la coupée et le capitaine y prit place, flanqué de son fils adoptif. Poquin et La Ficelle, les deux inséparables, — firent jouer les avirons. En peu de minutes, on eut franchi la distance qui séparait le yacht du rivage, et chacun sauta sur la berge, — moins La Ficelle, chargé de la garde du canot. Aussitôt le capitaine s’avança vers les femmes, sans fusil et la figure débonnaire. Comme les “squaws” retraitaient peu à peu, il s’arrêta en chemin et appelant Wapwi: —Viens ici, petit, dit-il. Rejoins ces pauvres femmes et cherche à leur faire comprendre que nous ne leur voulons aucun mal et que c’est à la Grande-Ourse que nous désirons parler. Wapwi partit aussitôt et ne tarda pas à rattraper les sauvagesses. Le capitaine et les matelots eurent alors sous les yeux un singulier spectacle. Les “squaws” entouraient le petit Abénaki, lui touchant la tête, la figure, les mains, avec des démonstrations d’étonnement et de plaisir de la plus grande évidence. Puis il y eut un colloque animé. Toutes les sauvagesses parlaient à la fois, levant les bras au ciel, se les croisant sur la poitrine, les laissant pendre le long de leurs hanches, dans des attitudes qui témoignaient autant de leur indignation que de leur bonne foi. Arthur Labarou. qui s’était approché du groupe, demanda à Wapwi: —Que disent-elles? —Elles ne savent rien de positif, si ce n’est que la Grande-Ourse a quitté le camp, il y a deux jours, avec un grand canot et six hommes de la tribu, et que ni le canot ni son équipage ne sont revenus. —Ah !... Et rien de plus? —Oh! oui, attendez Il y a près d’une lune, pendant la nuit, une goélette jeta l’ancre en face d’ici et deux hommes descendirent à terre : un noir et un blond. —Gaspard et son compère Thomas : je m’en doutais. —Ils éveillèrent la Grande-Ourse et eurent 1111 court palabre avec elle. Puis ils repartirent aussitôt, regagnant leur goélette, qui prit la direction du grand canal de montagnes... —Le détroit de Belle-Ile? —Oui, petit père : c’est bien ça. —Et la Grande-Ourse? —Elle s’est absentée toutes les nuits depuis ce tcinps-là. toujours escortée de ses six guerriers qui pagayaient le grand canot... Au petit jour, ils regagnaient le campement. Mais il y a deux nuits et une journée qu’on ne les a pas revus, ni hommes, ni femme, ni canot. —Plus de doutes! s’écria le capitaine : ce sont eux qui ont fait le coup. Mais... où sont-ils?... Quelle direction ont-ils pris?... Ah! c’est à en devenir fou! Et le pauvre mari de fraîche date, démoralisé par cette dure incertitude, crispait ses poings dressés vers le cicl. Wapwi ne disait rien, mais sa petite cervelle travaillait ferme. José Poquin, qui avait rejoint le groupe, hasarda timidement une supposition assez naturelle : —Mon capitaine, dit-il, pour en “être une autre, c’en est une autre, parole de mousse’!.... Mais j’ai une idée... —Laquelle? —La nommée Grande-Ourse est partie avec le plus grand canot du port,—je veux dire de l’île, — pas vrai? —Oui, d’après les sauvagesses. —Et avec six hommes d’équipage? —Les “squaws” l’affirment. —Pour lors, mon capitaine, m’est avis qu’on n’appareille pas une pirogue comme ça pour courir les bois. —C’est bien vrai... Mais... —Et que nous trouverons nos voleurs de femmes le long de la côte ou dans quelque île du golfe. Montréal, 27 octobre iqog -Au fait, tu as raison, José. Rembarquons et... en chasse ! 1 5 On se hâta de retourner vers le canot Mais Wapwi eut le temps de demander à une jeune micmaque de son âge: —Petite soeur, dis à ton frère, avant qu’il s’éloigne pour.... longtemps, où est allée son ennemie la Grande-Ourse? La jeune sauvagesse, les yeux très tendres entoura le cou de Wapwi et murmura à snn oreille : n —Du côté du couchant, sur une grande ile —Merci, ma soeur. Et Wapwi, après avoir embrassé rapidement l’enfant, rejoignit en quelques bonds son capitaine. Il tenait un bout du fil d’Ariane qui devait le conduire vers sa mère adoptive, — “petite mère ”, comme il l’appelait. CHAPITRE XI SHECATICA. — TERRE-NEUVE. — .ME-CATINA. — ANTICOSTI. Une fois tout son monde à bord du ‘‘Vengeur ”, Arthur Labarou tint une sorte de conseil de guerre. Il s’agissait de décider quelle direction on allait prendre, et surtout de 11e pas lanterner. Chaque heure de retard, en effet, favorisait la fuite des ravisseurs et amoindrissait les chances de les découvrir. On décida de forcer de voiles et de se diriger vers les parages de Terre-Neuve, dont on suivrait le littoral nord-ouest, depuis la baie Saint-Jean jusqu’à la Pointe Riche, où il s’infléchit dans la direction du sud-est pour former la baie d’Ingrenachaig. De là. on retournerait à Kécarpoui, après avoir contourné, à l’ouest, le Grand Mécatina, qui fait face à la baie. A Kécarpoui, on prendrait langue et la chasse continuerait vers l’ouest. Tout étant ainsi ordonné, on leva l’ancre et le “Vengeur”, tout son canevas de toile au vent, tourna le cap au sud et prit sa course vers la cote occidentale de Terre-Neuve. Il était jour depuis longtemps et une jolie brise de vent d’ouest rafraîchissait aguablement l’atmosphère toute ensoleillée. Les rives de la grande ile, qui, comme une énorme sentinelle, garde l’entrée du golfe Saint-Laurent, se profilaient, sur le bleu-sombre de l’horizon méridional, avec une crudité vaporeuse et semblaient fumer au soleil matinal pour se débarrasser des rosées nocturnes. Les marins du “Vengeur”, les yeux fixés sur ce panorama magique qui se magnifiait à mesure qu’avançait leur vaisseau, pouvaient à peine se défendre d’éprouver l’illusion que c’était le paysage terreneuvien qui venait à eux, et non eux qui allaient à lui. Cette sorte d’illusion visuelle est fréquente, et il suffit, pour en éprouver la curieuse impression, de s’isoler du véhicule qui nous transporte et de ne concentrer son regard que sur le but à atteindre. Cependant le yacht filait toujours... Après deux heures de courseyl avait parcouru vingt-cinq milles, et les côtes occidentales de Terre-Neuve apparaissaient dans toute leur sauvage majesté,’ hérissées de caps rougeâtres et dentelées de baies capricieuses. Droit en face de la proue du “Vengeur s ouvrait la baie d’“Ingrenachaig”, dont la rive septentrionale est elle-même échancrée par trois petites baies secondaires. Le yacht s’y engouffra et fendit les eaux calmes de ce bras de mer, jusqu’au delà de la pointe “Naunders”, d’où l’on put voir le fond de la baie, absolument vierge de tout vaisseau d un certain tonnage. Il n’y avait plus qu’à virer de bord et a gagner le golfe. _ C’est ce qui fut fait sans une minute de re tard. . „ • Le cap fut mis sur le “Grand-Mécatina , q dresse ses hauts mornes sous la meme long tude que Kécarpoui, mais plusieurs rU1’les..amont, si l’on tient compte de la direction ^ que du fleuve par rapport au méridien Terre. (A suivre) 12