Page:Dick - Les pirates du golfe St-Laurent, 1906.djvu/19

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— Je laisserais, d’abord, ces gens-là se marier paisiblement…

— Le beau conseil !… interrompit avec une ironie amère Gaspard Labarou… Puisqu’il est impossible d’empêcher la chose !

— … Puis, continua froidement Thomas, un beau jour, — ou plutôt une belle nuit, — alors qu’on me croirait bien loin et résigné, j’enlèverais la jeune épouse…

— Hein !… Que dis-tu ?… Enlever Suzane !

— … Et je l’amènerais ici, en grand secret… continua sans sourciller ce modèle des frères…

— … Mais !… voulut interrompre l’autre.

— … Puis je la retiendrais jusqu’à ce que quelque accident de mer ou… autre élément la rendît veuve.

— Oh ! oh !

— Voilà ce que je ferais, si j’étais amoureux d’une femme et que cette femme voulût me « brûler la politesse ! » conclut maître Thomas, sans qu’une ombre d’émotion parût sur sa figure impassible.

Gaspard ne parut aucunement surpris de cette suggestion.

Il s’y attendait.

Tout de même, le manque total de sens moral chez ce frère, qui conseillait le rapt de sa sœur comme la chose la plus simple du monde, parut l’étourdir un moment.

Il courba la tête et ne dit mot :

— Ça ne te va pas, mon vieux ?… reprit le copain Thomas sur un ton goguenard ; ça bat en brèche tes idées sur la sainteté du mariage ?… Soit : n’en parlons plus.

— Si… si… Ça me va, au contraire… J’y avais même songé… murmura Gaspard, très perplexe.

Puis, après une pause de quelques secondes, il ajouta, en baissant le ton :

— Seulement…

— Quoi ?… interrogea Thomas.

— J’aurais aimé mieux enlever Suzanne avant le mariage, qu’après…

— Je comprends ça, mon garçon ! approuva Thomas, avec un vague sourire.

Puis il reprit :

— Il faut être philosophe, vois-tu… Une jeu-