Enfin, de l’autre côté du détroit, à une trentaine de milles marins, s’entrevoyaient, grâce aux lunettes, les rives escarpées de Terre-Neuve.
Quand les deux compères eurent promené leurs longues-vues dans toutes les directions, Thomas mit la sienne sous son bras et, prenant la pose d’un professeur :
— Tu vois d’ici Forteau, commença-t-il.
— Parbleu ! fit l’autre : ça n’est pas malin.
— Non ; mais ce qui le deviendrait, malin, ce serait de transporter sa lumière au sommet de ce cap même, la nuit prochaine, pendant la tempête qui se prépare… Tiens, vois là-bas !
Gaspard tourna la tête dans la direction de l’est et vit qu’en effet l’horizon se plombait, tout en se couvrant de grandes masses de nuées noires qui montaient rapidement vers le zénith.
— C’est, ma foi, vrai, dit-il : les violons s’accordent là-bas pour un bal de premier numéro.
— Dis plutôt pour un grain qui laissera des trous de son passage.
Et Thomas se frottait les mains avec une satisfaction non déguisée.
Gaspard, le voyant ainsi tout guilleret à la perspective d’une tempête, fit la remarque :
— On dirait, nom d’un phoque, que le bonhomme « nordêt » s’apprête à mettre des atouts dans ton jeu : te voilà gai comme un mathurin au retour d’une bonne course.
Thomas eut un vague sourire, aussitôt réprimé.
Sa préoccupation était visible.
Que mijotait-il dans sa tête bizarrement organisée ?
Gaspard allait le savoir.
Après une dernière inspection du détroit, à l’aide de sa longue vue, le capitaine du « Marsouin » se prit à dire, comme se parlant à lui-même :
— Bon !… Pas une voile… Ce sera pour la nuit prochaine : nous avons le temps.
— Le temps de quoi faire ? s’enquit Gaspard.
Puis, après une pause et quelques secondes de réflexion :
— Au fait… continua-t-il, je pense maintenant à ton mot d’il y a un instant : transporter la lumière de Forteau ici… C’était donc sérieux, cette idée-là ?
Thomas approcha sa bouche de l’oreille de son interlocuteur et dit simplement, sur un ton confidentiel :