Mais le capitaine Noël et son matelot avaient triomphé d’obstacles bien autrement redoutables, depuis qu’ils naviguaient…
Aussi, courbés sur leurs rames, ils poursuivaient imperturbablement leur route, sans souci des lames, sans égard à la bourrasque.
Comme ils approchaient des atterrages de l’est, une voix forte se fit entendre :
— C’est-il vous autres, les marsouins ?
Thomas répondit sur le même ton :
— Oui… Où êtes-vous ?… Allumez une torche, un fanal, quelque chose qui éclaire… On n’y voit rien.
Aussitôt la lumière d’un falot brilla au milieu des rochers, rendant visible la figure très pâle de Gaspard Labarou et la longue silhouette de Jean Bec.
— Vite, dépêchez ! commanda nerveusement Gaspard.
La chaloupe pénétra dans une anse et aborda de suite.
On la mit en sûreté, à l’abri du ressac.
Puis Thomas laissa tranquillement tomber de ses lèvres cette question :
— Eh bien, camarades, « ça y est-il » ?
— Viens voir ! fut la réponse laconique de Gaspard.
Et les deux compères, suivis de leurs matelots, escaladèrent le cap.
On s’avança jusqu’à la crête regardant le détroit ; et là, en dépit de la demi-obscurité, un spectacle terrifiant s’offrit aux regards…
À quelques encâblures, un grand navire gisait couché sur son flanc de bâbord, la proue tournée vers la « Pointe-aux-Morts » et la poupe regardant « Terre-Neuve. »
De toute évidence, le capitaine devait être un vieux loup de mer qui avait d’abord suivi la bonne course, au large des dangereux récifs de la pointe maudite, puis l’avait changée soudain en apercevant le fanal trompeur substitué par les « naufrageurs » à la lumière officielle de Forteau.
Le désastre était complet.
De ses trois mâts, le malheureux vaisseau n’en conservait qu’un debout.
Les deux autres, — celui de misaine et le grand mât, — gisaient, avec leurs voiles à moitié désemparée, rompus par tronçons, mais retenus les uns aux autres par les multiples cordages du gréement.