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Page:Dick - Un drame au Labrador, 1897.djvu/109

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diction d’un père serait ratifiée dans le ciel ; et, quoi qu’il en eût, en dépit de son scepticisme farouche, il en éprouvait une sensation de malaise allant jusqu’à la peur.

Avait-il donc besoin, ce vieillard, sans l’ombre d’une preuve de culpabilité, d’appeler sur la tête de son neveu la vengeance céleste !

Pour se donner du cœur, quand il fut hors de vue, le misérable montra le poing à la maison, disant :

— Vieux fou !… Je me moque de tes foudres de fer-blanc et je te ferai voir bientôt de quel bois je me chauffe… Ah ! ah ! tu me maudis et ta fille m’appelle Caïn… Mais prenez garde de regretter amèrement, un jour, la satisfaction de m’avoir mis à la porte !

Ayant ainsi évacué un peu de sa bile, il reprit le chemin du Chalet, de l’autre côté de la baie.

Tout en pagayant son canot, il monologuait de la sorte :

— Il est clair comme le jour que, pour ce qui regarde mes chers parents et leur virago de fille, mon chien, est mort

« Plus rien à espérer de ce côté.

« Mais je m’en moque, comme un poisson d’une pomme.

« Ce qu’il me reste à faire, c’est d’amadouer et d’engluer si bien les Noël, de me rendre tellement indispensable, que la belle Suzanne, en dépit de son ridicule chagrin, cesse de penser jour et nuit à un mort, pour s’apercevoir enfin qu’il existe un bon vivant dans son entourage, prêt à se dévouer pour son bonheur.

« D’ailleurs, dans ce siège en règle que je vais entreprendre, j’aurai un précieux auxiliaire : Thomas, qui m’est dévoué.

« Quant à la mère, bien que réconciliée avec l’oncle Jean, je parie qu’il lui reste, en dépit de tout, un vieux levain de rancune qui ne demanderait qu’à fermenter, si l’on s’y prenait habilement.

« Reste le petit Louis, — qui n’est plus un enfant, malgré son qualificatif.

« Celui-là, j’en ai peur, me donnera du fil à retordre.

« Il est toujours avec ce moricaud de Wapwi, d’un côté ou de l’autre, et je le soupçonne d’avoir un fort béguin pour ma belle et tyrannique cousine, Euphémie.

« Qu’il me succède dans le cœur de la « fille à mon oncle, » — je ne demande pas mieux… Mais qu’il ne s’avise pas de se liguer avec elle pour me jouer quelque mauvais tour, — car ça ne serait pas bien du tout de la part d’un beau-frère !…

« Au reste, nous veillerons, Thomas et moi.

« Thomas Noël !… En voilà un véritable ami, par exemple, qui n’a pas peur de mettre les mains à la pâte, lorsqu’il s’agit de tirer un copain du pétrin !…

« Vive le capitaine Thomas et son lieutenant, Gaspard ! »

S’étant ainsi mis dans un état de feinte excitation pour chasser de son esprit la mauvaise impression qu’il remportait de sa visite, — à l’instar des gens peureux qui chantent, la nuit, quand ils cheminent seuls dans le voisinage d’un cimetière, — maître Gaspard hâtait sa marche vers le chalet de la famille Noël, sa nouvelle résidence.