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Page:Dick - Un drame au Labrador, 1897.djvu/16

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Puis à Gaspard, toujours calme et froid :

— Quel luxe, cousin !… Une cuisine à vapeur dans les savanes du Labrador !

— Tout cela prend bien du temps… murmurait ce dernier, une main sur l’estomac.

Mais non !… Il se trompait, le cousin ; car, en moins d’une demi-heure, le gigot fut retiré du trou et servi sur une belle écorce de bouleau.

L’appétit aidant, sans doute, il fut trouvé mangeable par les Français, qui lui firent honneur.

Quand au « sauvagillon », il en avait la figure toute irradiée.

— Ah ! mes amis, conclut Arthur en se levant de table, si, pendant la dernière quinzaine, ce jambon, au lieu de courir la savane, se fût tranquillement reposé dans une bonne saumure, il serait superbe !

— Il ne lui manque, en effet, qu’une chose, appuya Gaspard : du sel.

— Nous salerons ceux qui restent, aussitôt arrivés : — car nous les emportons, tu sais !…

— Et la peau ?

— Moi porter la peau, dit l’enfant.

— Non pas ; c’est trop pesant pour toi, protesta Arthur. Je m’en charge. Vous deux, prenez chacun un gigot, et en route !… voici le soleil qui baisse.

Avant de partir, toutefois, les jeunes Français voulurent donner une sépulture sommaire au vieux sauvage, qui gisait là, près d’eux.

Mais l’enfant les gênait.

Comment l’éloigner ?

Ce fut lui-même qui coupa court à l’hésitation de ses nouveaux amis, en allant droit au cadavre et en cherchant du regard un endroit où il pourrait l’enfouir.

Dès lors, les autres mirent de côté leurs scrupules.

Le corps fut transporté au pied d’un monticule de sable, qui se trouva d’aventure à un arpent de là, et que l’on égrena sur lui.

Deux bâtons croisés, figurant tant bien que mal le signe de la Rédemption, furent dressés sur ce tumulus, que l’on recouvrit par mesure de précaution, de cailloux pesants…

Puis, après avoir adressé mentalement une courte prière au Tout-Puissant à l’intention du pauvre Abénaki, qui attendrait là le jugement dernier, les trois jeunes gens, très impressionnés, se chargèrent des dépouilles de l’ours et quittèrent la savane, se dirigeant vers le fleuve.

Inutile d’ajouter que le petit sauvage s’était emparé de l’attirail de chasse de son défunt père, et qu’il portait, lui aussi, outre sa part de venaison, le fusil sur l’épaule…

Sa démarche conquérante le disait assez !

Songez donc… Un fusil à lui !

Le rêve de son adolescence réalisé !

Il y avait bien de quoi rendre un peu fat, même un garçon de Quimper, au vieux pays.