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Page:Dick - Un drame au Labrador, 1897.djvu/91

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Le blessé, un peu revenu à lui, la regardait fixement, avec des yeux égarés…

La mère répéta sa demande, haussant la voix, secouant le bras inerte, serrant la main molle…

– Arthur !… Qu’est devenu Arthur ?

De son côté, Mimie, — la sœur, — dardait sur lui ses prunelles électriques, qui semblaient lire jusqu’au fond de son âme.

Le blessé se demandait : « Que faire ?… Que dire ?… »

La fièvre le gagnait…

Une lourdeur chaude appesantissait sa cervelle…

Et, pour le coup, si ça allait être sérieux !

Adieu la frime !

Gaspard, par un effort suprême, se dressa sur les genoux et, désignant la mer encore terrible dans son demi-apaisement, il ne dit qu’un mot :

– Là !

Puis il retomba, cette fois dompté pour tout de bon par la surexcitation cérébrale.

Alors, ce fut bien pis…

Que signifiait ce geste, indiquant le gouffre ?… Pourquoi cette syncope au moment de parler ?…

Mais la goélette abordait…

On allait savoir…

Sainte Vierge, comme Jean Labarou était lent, ce matin-là !

Enfin l’ancre est tombée, les voiles abaissées…

Voici la chaloupe qui quitte le bord.

Le père est seul…

Et le fils, — le fils unique, parti la veille, plein de vie, de santé, d’espoir, — qu’en a donc fait la tempête ?…

Moment d’angoisse suprême !

On n’ose abandonner le blessé, pour courir au-devant du vieux pêcheur…

On attend, le cœur serré.

À la fin, la mère n’y tient plus…

Elle se précipite à la rencontre de son mari, qui la reçoit dans ses bras, tout en répondant par un hochement de tête désespéré à l’interrogation muette de ses yeux.

Mimie, elle aussi, est accourue.

Mais, voyant sa mère inanimée, son père sombre et pâle, elle se laisse glisser sur ses genoux, lève les yeux au ciel et sanglote convulsivement.

– C’est fini ! gémit-elle… Arthur est noyé !

– Noyé ! noyé !… Lui ! lui !… Pas moi !… Oh ! la belle tempête !… Hourra ! crie une voix étrange.

On se retourne.

C’est Gaspard.

La figure rouge, les yeux brillants, gesticulant comme un forcené, il s’escrime contre des ennemis invisibles, combat des éléments imaginaires…