Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/101

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première explosion à Westminster, tout symptôme d’ordre arrêté d’avance ou de plan concerté entre eux avait disparu. Quand ils se divisaient par bandes pour courir dans les différents quartiers de la ville, c’était d’après une inspiration soudaine et spontanée. Chacune d’elles se grossissait sur son chemin, comme les rivières à mesure qu’elles coulent vers la mer ; chaque fois qu’il leur fallait un chef, il s’en présentait un, qui disparaissait sitôt que l’on n’en avait plus besoin, pour reparaître encore à la première nécessité. Le tumulte prenait chaque fois une forme nouvelle et inattendue, selon les circonstances du moment : on voyait de braves ouvriers retournant chez eux, après une journée de travail, jeter là leurs outils pour se mêler activement à l’émeute, en un instant ; des saute-ruisseaux en faisaient autant, laissant là les commissions dont ils étaient chargés en ville. En un mot, c’était comme une peste morale qui était tombée sur Londres. Le bruit, le tumulte, l’agitation, avaient pour eux un attrait irrésistible qui les séduisait par centaines. La contagion s’étendait comme le typhus. Le mal, encore à l’état d’incubation, infectait à chaque heure de nouvelles victimes, et la Société commençait à s’alarmer sérieusement de leurs fureurs.

Il était à peu près deux ou trois heures après midi, lorsque Gashford vint dans le repaire que nous avons décrit au dernier chapitre, et, n’y trouvant que Dennis et Barnabé, s’informa de ce qu’était devenu Hugh.

Il était sorti, à ce que lui dit Barnabé, il y avait bien une heure, et n’était pas encore revenu.

« Dennis, dit le souriant secrétaire, de sa voix la plus doucereuse, en se tenant les jambes croisées sur un baril ; Dennis ! »

Le bourreau, se réveillant en sursaut, se mit sur son séant, et le regarda les yeux tout grands ouverts.

« Comment ça va-t-il, Dennis ? dit Gashford, le saluant d’un signe de tête. J’espère que vous n’avez pas eu à vous plaindre de vos dernières expéditions, Dennis ?

— Maître Gashford, répondit le bourreau, fixant sur lui les yeux, vous avez une manière si tranquille de vous dire les choses, qu’il y a de quoi faire sauter au plancher. Nom d’un chien, ajouta-t-il entre ses dents, sans détourner les yeux, et d’un air pensif ; vous avez quelque chose de si rusé !