Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/127

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ces circonstances se combinaient pour présenter aux yeux une scène que les spectateurs qui n’y prenaient point part ne devaient jamais oublier, dussent-ils vivre cent ans.

Quels étaient ces spectateurs ? La cloche d’alarme, remuée par des mains puissantes, avait longtemps retenti, mais pas une âme qu’on pût voir. Quelques rebelles prétendaient bien que, lorsqu’elle avait cessé d’appeler à l’aide, on avait entendu des cris de femmes éplorées, et qu’on avait vu flotter leurs vêtements dans l’air, pendant qu’elles étaient emportées, malgré leur résistance, par une troupe de ravisseurs. Mais, dans un pareil désordre, personne ne pouvait dire si c’était vrai ou si c’était faux. Cependant où donc était Hugh ? Personne ne l’avait plus vu depuis qu’on avait enfoncé les portes. Toute la bande criait après lui ; où est donc Hugh ?

« Présent, répondit-il d’une voix enrouée, en sortant de l’obscurité, tout haletant, tout noirci par la fumée. Nous avons fait tout ce que nous pouvions faire. Voilà le feu qui va s’éteindre de lui-même, et, s’il reste encore quelque pan de murailles, ce n’est plus qu’un amas de ruines. Dispersons-nous, mes gars, pendant qu’il y fait bon ; rentrez par différents chemins, et nous nous retrouverons comme d’habitude. »

Là-dessus, il disparut de nouveau…. (c’était bien étrange, lui qui toujours arrivait le premier et ne s’en allait que le dernier)… et les laissa retourner chacun chez eux comme ils voulaient.

Ce n’était pas une tâche facile que d’organiser la retraite d’une pareille multitude. Quand on aurait ouvert toutes grandes les portes de Bedlam[1], il n’en serait pas sorti autant de fous qu’en avait fait sortir cette nuit de délire. On voyait des hommes danser et trépigner sur les parterres de fleurs, comme s’ils croyaient écraser des victimes humaines sous leurs pieds ; ils arrachaient leurs tiges avec fureur, comme des sauvages qui tordent le cou de leurs ennemis. On en voyait d’autres jeter en l’air leurs torches enflammées, et les recevoir sans bouger sur leurs têtes et sur leurs visages tout enflés et tout couturés de brûlures hideuses. On en voyait qui se précipitaient jusqu’au brasier et en écartaient la vapeur avec le mouvement de leurs mains, comme s’ils

  1. Maison de fous.