Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/140

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terre devant la porte, et mettant son drapeau sur ses genoux, pour ne pas le perdre en cas d’alarme ou de surprise, il invita Grip à venir dîner.

L’oiseau intelligent ne se le fit pas dire deux fois, et, sautant de côté vers son maître, se mit à crier en même temps : « Je suis un diable, je suis un Polly, je suis une bouilloire, je suis protestant : pas de papisme ! » Il avait appris cette dernière ritournelle des braves messieurs avec lesquels il faisait société depuis peu : aussi la prononçait-il avec une énergie peu commune.

« Bien dit, Grip ! cria son maître en lui choisissant les meilleurs morceaux pour sa part ; bien dit, mon vieux !

— N’aie pas peur, mon garçon, coa, coa, coa, bon courage ! Grip ! Grip ! Grip ! Holà ! il nous faut du thé ! je suis une bouilloire protestante, pas de papisme ! criait le corbeau.

— Grip, vive Gordon ! » criait de son côté Barnabé.

Le corbeau, mettant sa tête par terre, regardait son maître de côté, comme pour lui dire : « Redis-moi ça. »

Barnabé, comprenant parfaitement son désir, lui répéta la phrase bien des fois. L’oiseau l’écouta avec une profonde attention, répétant quelquefois ce cri populaire à voix basse, comme pour comparer les deux manières et pour s’essayer dans ce nouvel exercice ; quelquefois battant des ailes ou aboyant ; quelquefois enfin, dans une espèce de désespoir, tirant une multitude infinie de bouchons retentissants, avec une obstination extraordinaire.

Barnabé était si occupé de son oiseau favori, qu’il ne s’aperçut pas d’abord de l’approche de deux cavaliers qui venaient au pas, juste dans la direction du poste qu’il avait à garder. Cependant, quand ils furent à une portée de fusil, il les vit, sauta vivement sur ses pieds, commanda à Grip de rentrer, prit son drapeau à deux mains, et resta tout droit à attendre qu’il pût reconnaître si c’étaient des amis ou des ennemis.

Presque au même instant, il vit que, de ces deux cavaliers, l’un était le maître et l’autre le domestique ; le maître était précisément lord Georges Gordon, devant lequel il se tint la tête découverte, les yeux fixés en terre.

Bonjour, lui dit lord Georges sans arrêter son cheval avant d’être arrivé tout près de lui ; tout va bien ?

— Tout est tranquille, monsieur, tout va bien, cria Bar-