Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/159

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pêcher de crier ; du moins nous n’aurions pas à craindre de voir bientôt les militaires sur notre dos.

— Eh bien, après ! quand nous les aurions sur notre dos ? répondit Hugh. Qu’est-ce que ça nous fait ? Croyez-vous qu’on en ait peur ? Qu’ils y viennent, je ne leur dis que ça : qu’ils y viennent. Le plus tôt sera le mieux. Mettez-moi seulement Barnabé à côté de moi, et à nous deux nous vous les arrangerons, les militaires, sans vous donner la peine de vous en occuper. À la santé de Barnabé ! »

Cependant, comme la majorité des camarades là présents en avaient assez pour cette nuit, et ne demandaient pas d’autre affaire, dans l’état de fatigue et d’épuisement où ils étaient déjà, ils se rangèrent du parti de M. Tappertit, et pressèrent l’autre de se dépêcher de souper, disant qu’on n’avait déjà que trop différé le départ. Hugh, de son côté, au milieu même de son ivresse frénétique, ne pouvait s’empêcher de reconnaître qu’ils courraient de gros risques à rester là sur le théâtre des violences récentes ; il finit donc son repas sans autre réplique, se leva, s’approcha vers M. Tappertit, et lui donnant une tape sur le dos :

« Là, maintenant, cria-t-il, on est prêt. Il y a de jolis oiseaux dans cette cage, hein ? des petits oiseaux bien délicats ? de tendres et amoureuses colombes ? C’est moi qui les ai mises en cage. C’est moi ; voyons que j’y regarde encore. »

En disant cela, il jeta de côté le petit homme, monta sur le marche pied qui était à moitié baissé, leva de force le store, et mit l’œil à la fenêtre de la chaise, comme l’ogre qui regarde dans son garde-manger.

« Ha ! ha ! ha ! c’est donc vous qui m’avez égratigné, pincé, battu, ma jolie bourgeoise ? se mit-il à crier en saisissant une petite main qui cherchait en vain à se dégager de ses griffes. Voyez-vous ça ? avec des yeux si pétillants ! des lèvres si vermeilles ! une taille si appétissante ! Eh bien ! je ne vous en aime que mieux, madame. Vrai, ma parole. Je veux bien que vous me poignardiez, si ça vous fait plaisir, pourvu que ce soit vous qui me guérissiez après. Ah ! que j’aime à vous voir cette mine fière et dédaigneuse ! Vous n’avez jamais été si jolie ; et, pourtant qui est-ce qui peut se vanter d’avoir jamais été aussi jolie que vous, ma belle petite ?