Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Allons, dit M. Tappertit, qui avait entendu ces compliments avec une impatience manifeste, en voilà assez : partons. »

La petite main, du fond de la voiture, vint en aide à ce commandement, en repoussant de toutes ses forces la grosse vilaine tête de Hugh, et en relevant le store, au milieu du rire bruyant du lieutenant éconduit, qui jurait ses grands dieux qu’il lui fallait encore un petit coup d’œil dans la voiture, parce que le dernier l’avait mis en appétit. Cependant, en voyant l’impatience longtemps contenue de la bande éclater enfin en murmures ouverts, il renonça à son dessein et s’assit sur l’avant-train, se contentant de taper de temps en temps au carreau de devant et d’essayer d’y jeter furtivement un regard. M. Tappertit, monté sur le marchepied, et suspendu comme un beau page à la portière, donnait de là ses ordres au postillon, dans l’attitude du commandement, et d’une voix militaire ; les autres venaient par derrière ou voltigeaient sur les flancs, comme ils pouvaient. Il y en avait qui, à l’exemple de Hugh, essayaient d’apercevoir à la dérobée le visage dont il avait tant vanté la beauté ; mais ils voyaient bientôt leur indiscrétion réprimée par un coup de gourdin de M. Tappertit. C’est ainsi qu’ils poursuivirent leur voyage par des routes détournées et des circuits nombreux, gardant en résumé un ordre passable et un silence assez discret, excepté quand ils faisaient une halte pour reprendre haleine, ou qu’ils se disputaient sur le meilleur chemin à prendre pour gagner Londres.

Pendant ce temps-là, que faisait Dolly ? … la belle, la charmante, la séduisante petite Dolly ! Les cheveux en désordre, sa robe déchirée, ses cils noirs tout humectés de larmes, son sein palpitant, le visage tantôt pâle de crainte, tantôt cramoisi de colère et d’indignation, mais après tout, dans cet état d’excitation, mille fois plus jolie que jamais, elle faisait tout ce qu’elle pouvait, mais vainement, pour remettre Mlle Haredale, et lui donner un peu de cette consolation dont elle aurait eu tant de besoin elle-même. Les soldats allaient venir, bien sûr. Elles allaient retrouver leur liberté. Il était impossible qu’on les conduisît à travers les rues de Londres sans que, en dépit des menaces de leurs ravisseurs, elles appelassent par leurs cris les passants à leur secours.