Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/16

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ronde un regard de mépris et descendit lentement l’escalier. Il était déjà près du bateau, quand Gashford se retourna de côté, d’un air innocent, et aussitôt une main se leva dans la foule et lança à M. Haredale une grosse pierre qui le frappa à la tête, et le fit chanceler sur ses pieds comme un homme ivre.

Le sang jaillit à l’instant de sa blessure et coula le long de ses vêtements. Il se retourna tout de suite et, remontant les marches avec une audace et une colère qui les fit tous reculer :

« Qui est-ce qui a fait cela ? demanda-t-il. Qu’on me montre celui qui m’a visé. »

Pas une âme ne bougea ; et pourtant, je me trompe, il y eut un homme ou deux sur les derrières qui s’esquivèrent et se glissèrent de l’autre côté, où ils se mirent à regarder, les mains dans les poches, comme des spectateurs indifférents.

« Qui est-ce qui a fait cela ? répéta-t-il. Qu’on me montre celui qui l’a fait. Misérable chien que vous êtes, est-ce vous ? Le coup part de votre tête, si ce n’est pas de votre bras…, je vous connais. »

À ces mots, il se jeta sur Gashford et le jeta à ses pieds. Il y eut un mouvement soudain dans la foule, et plusieurs bras se levèrent contre lui ; mais en voyant son épée nue, tous reculèrent encore.

« Milord, sir John, criait-il, allons ! dégainez-donc, l’un ou l’autre ; c’est vous qui me devez raison de cet outrage, et me voilà en face de vous. Allons ! l’épée au poing, si vous êtes des gentilshommes. »

En même temps, il frappait la poitrine de sir John du plat de sa lame, et se mettait en garde, la figure enflammée, l’œil étincelant, seul contre tous.

Un instant, un instant seulement, aussi rapide que la pensée, on vit passer sur la doucereuse figure de sir John un éclair sombre que personne n’y avait vu jamais. Le moment d’après, il fit un pas en avant, étendit une main sur l’arme de M. Haredale, pendant que de l’autre il essayait d’apaiser la foule.

« Mon cher ami, mon bon Haredale, vous êtes aveuglé par la colère ; c’est bien naturel, extrêmement naturel, mais cela vous empêche de reconnaître même vos amis d’avec vos ennemis.