Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/183

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ques éclairs de temps en temps, elles n’avaient pas trait à sa condition présente, ni à la suite de circonstances qui l’avait amené là. Les craquelures des dalles de son cachot, les rainures qui séparaient les pierres de taille dont se composait la muraille, les barreaux de sa fenêtre, l’anneau de fer rivé dans le parquet… tout cela se confondait à sa vue d’une manière étrange, et lui créait un genre inexplicable d’amusement et d’intérêt qui l’absorbait tout entier. Et, quoique au fond de chacune de ses pensées il y eût un sentiment pénible de son crime et une crainte constante de la mort, ce n’était que la douleur vague qu’éprouve le malade dans son sommeil, lorsque son mal le poursuit au milieu même de ses songes, lui ronge le cœur au sein de ses plaisirs imaginaires, lui gâte les meilleurs banquets, prive de toute sa douceur la musique la plus suave, empoisonne son bonheur même, sans être cependant une sensation palpable et corporelle ; fantôme sans nom, sans forme, sans présence visible ; corrompant tout, sans avoir d’existence réelle ; se manifestant partout, sans pouvoir être perçu, saisi, touché nulle part, jusqu’à l’heure où le sommeil s’en va et laisse la place à l’agonie qui s’éveille.

Longtemps après, la porte de son cachot s’ouvrit. Il leva les yeux, vit entrer l’aveugle, et retomba dans sa première attitude.

Guidé par le souffle de sa respiration, le visiteur s’avança vers son lit, s’arrêta près de lui, et, étendant la main pour s’assurer qu’il ne se trompait pas, resta longtemps silencieux.

« Ce n’est pas bien, Rudge. Ce n’est pas bien, » finit-il par dire.

Le prisonnier trépigna du pied en se détournant de lui, sans rien répondre.

« Comment donc vous êtes-vous laissé prendre ? demanda-t-il, et où cela ? Vous ne m’avez jamais confié tout votre secret. N’importe, je le sais maintenant. Eh bien ! lui demanda-t-il encore en se rapprochant de lui, comment cela est-il arrivé, et dans quel endroit ?

— À Chigwell, dit l’autre.

— À Chigwell ? pour quoi faire alliez-vous là ?

— Parce que, répondit-il, je voulais justement visiter l’homme sur lequel je suis tombé ; parce que j’y étais en-