Aller au contenu

Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il était à peu près six heures du soir quand un vaste attroupement se précipita dans Lincoln’s-Inn-Fields par toutes les avenues, et là se divisa, évidemment d’après un plan préconçu, en diverses branches. Ce n’est pas que l’arrangement prémédité fût connu de toute la foule : c’était le secret de quelques meneurs qui, venant se mêler aux autres, à mesure qu’ils arrivaient sur les lieux, et les distribuant dans tel ou tel détachement, exécutaient le mouvement avec autant de rapidité que si c’eût été une manœuvre faite au commandement, et que chacun eût eu son poste assigné d’avance.

Tout le monde savait, du reste, que la bande la plus considérable, comprenant à peu près les deux tiers de la masse, était désignée pour l’attaque de Newgate. Elle se formait de tous les perturbateurs qui s’étaient distingués dans les premiers troubles ; de tous ceux que la rumeur publique signalait comme des gens de résolution et d’audace, des hommes d’action ; de tous ceux qui avaient eu des camarades arrêtés dans les affaires des jours précédents, enfin d’un grand nombre de parents ou d’amis de criminels détenus dans la prison. Cette dernière classe de héros ne renfermait pas seulement les bandits les plus désespérés et les plus redoutables de Londres ; on y voyait aussi quelques personnes comparativement honnêtes. Plus d’une femme s’était habillée en homme pour aller aider à la délivrance d’un fils ou d’un frère. Il y avait les deux fils d’un condamné à mort, dont la sentence devait être exécutée le surlendemain, en compagnie de trois autres criminels. Combien de mauvais sujets dont les camarades avaient été emprisonnés pour filouterie ! Et aussi que de misérables femmes, parias du genre humain, qui allaient là pour faire relâcher quelque autre créature de bas étage comme elles, ou peut-être entraînées, Dieu seul pourrait le dire, par un sentiment général de sympathie qui les intéressait à tous les malheureux sans espoir !

De vieux sabres, et de vieux pistolets sans poudre ni balles ; des marteaux de forge, des couteaux, des scies, des haches, des armes pillées dans des étals de boucherie ; une véritable forêt de barres de fer et de massues de bois ; des échelles longues, pour escalader les murs, portées par une douzaine d’hommes ; des torches allumées, des étoupes enduites de poix, de soufre, de goudron, des pieux arrachés à des palis-